mercredi 2 août 2017

Le vertige - Mathias Richard


je sens / un vertige    
toujours, tous les jours
à chaque instant, un vertige
un vertige, un vertige
je dois / fermer les yeux
pour me / reconcentrer  

est-ce que tu, comprends, le vertige
est-ce que tu ressens, le vertige

c'est un vertige, permanent, ce n'est pas n'importe quoi, c'est la vérité, c'est la seule réalité,
le vertige, est la seule réalité
le vertige, est la seule vérité

tout le reste, ce sont des à-côtés,
tout le reste, c'est du blabla,

moi je suis né et j'ai grandi, dans un vertige, qui n'a cessé, de grandir, mais j'ai toujours dû, le cacher, faire comme si, faire comme si ça n'existait pas,

moi je parle à ceux qui ont un vertige, je parle à ceux qui vivent dans un vertige

je propose qu'on fasse, un monastère, une communauté, un rassemblement, où enfin on serait entre gens qui ont le vertige, on n'aurait plus besoin, de faire semblant,

nous avons dû être, des caméléons, nous avons dû, marcher droit, plus ou moins, pour arriver, jusque là
nous avons dû faire comme si nous n'avions pas le vertige, nous avons dû faire comme si

je voudrais qu'on soit vrais,

y a des gens, nés dans un vertige
ce n'est pas un choix
ce vertige, c'est la vérité
le reste, c'est rien, c'est du blabla, de l'adaptation, de la sociabilité,
la vérité, c'est le vertige

le reste, c'est, du, blabla,
le reste, c'est rien

ce qui n'est pas le vertige
c'est
rien

nous sommes
une religion
LA
religion
la seule la vraie, religion
religion, invisible
celle dont on ne parle pas, depuis toujours

une religion, qui ne se dit pas
qui est sur toute la Terre
depuis des centaines de milliers d'années

nous sommes une religion
la seule, religion
la seule chose qui vaille
le reste
c'est juste, des croix à cocher
dans des documents
des croix à cocher
dans des vies
le reste c'est juste des années entières perdues
le reste c'est juste des vies entières perdues
le reste, c'est rien

un vertige te fait tourner la tête
tu cherches à l'éteindre avec des cigarettes
tu cherches à l'éteindre avec de l'alcool
un vertige te fait tourner la tête
tu mets de la musique ça le canalise et l'amplifie
un vertige te fait tourner la tête
un vertige te fait tourner le corps, les épaules, le torse, les jambes, le bassin

un vertige te fait tourner la tête
tu es une tige
une vibration
(une feuille dans le vent, une algue dans la mer, un nuage qui change de forme)

tu sens les sensations, tu sens les pensées, tu sens, le corps
tu sens l'ouverture, l'ouverture, de tout ce qui est possible, de tout ce qui est enthousiasmant, de tout ce qui est déchirant
c'est un truc qui te tord les nerfs
tu as un vertige
en toi

un vertige, c'est quand tout tourne, tout tournoie
tout vrille, tout tourne
un vertige c'est quand tout est immobile
et qu'on voit les lignes de vitesse
au ralenti
chaque ligne de vitesse, tu la vois, tu peux l'attraper
entre tes doigts
la regarder
tout à coup tout repart à toute vitesse et continue
et en même temps
tu vois toutes les images du monde
toutes les images du monde possibles
tous les visages, toutes les plantes, tous les objets, toutes les pierres, toutes les couleurs, toutes les lumières
tous les gens, tous les bâtiments, tous les animaux, tous les insectes, tous les poissons
tous les recoins, tous les soleils, toutes les planètes
c'est ça le vertige
tout est là, en même temps
c'est immobile et ça va à toute vitesse

Qu'est-ce qu'on en fait de ce vertige ?
Qu'est-ce qu'on en fait du vertige ?
Est-ce qu'on respecte le vertige ?
Est-ce que l'on respecte assez le vertige ?

il faut des écoles pour maintenir le vertige, le cultiver le développer

il nous faut des écoles de vertige                
des camps disciplinaires de vertige
des camps sans camp, juste des gens qui marchent dans la rue au hasard, et dont l'unique goût, et but
est d'écouter le vertige, de le développer, de l'amplifier, de le prendre en compte, de le respecter, de s'en inspirer

les cordes les vibrations il faut marcher dessus, glisser dessus
danser dessus

on bouge à toute vitesse, tout en restant immobile

ce moment
où tout
s'ouvre

où tout
s'écartèle

tu marches au pas dans ta tête
tu marches, dans un rythme qui s'accélère, implacable, qui s'accélère, qui monte
c'est insupportable
tellement, c'est enthousiasmant
et bon
dans cet élan, ce mouvement
tu es à toute vitesse
ça va tout droit, à fond
à fond, à fond, l'extrême, à fond, quand on va dans l'extrême, à fond, que c'est simple, que ce n'est que ça, que c'est la seule chose, que c'est la seule chose pour laquelle on est né, que c'est la seule chose qui compte dans notre vie, que c'est ce moment, où tu as envie de
trembler, crier, sauter
écarter les bras, en te disant c'est là
on fonce dans le tunnel, à toute vitesse, et les lumières ne sont plus que des traits, et les lumières disparaissent que le tunnel devient noir et on va de plus en plus vite, avec une détermination mortelle, à tombeau ouvert à la vitesse des ténèbres
et c'est pour ça
c'est la seule raison la seule chose
ce n'est pas une raison, c'est juste

ce moment où on se dit, on y va à fond, jusqu'au bout, on y va à fond, jusqu'au bout,

et là on se dit, on est là, on y va à fond, jusqu'au bout, à la vie à la mort on s'en fout,
c'est juste
la gloire, la totalité

on y va à fond, parce que c'est trop bon, que c'est la seule raison
à toute vitesse sans bouger
quand tu sens que ça monte, que c'est insupportable tellement ça monte,
que ça monte toujours, et tu sens que ça pourrait monter toujours plus, toujours plus sans jamais s'arrêter de monter, c'est insupportable
ça monte, tu es dans cette montée, si loin que tu ne vois plus d'où tu es parti, ça monte et c'est horrible, c'est insupportable,

c'est une vitesse noire, une vitesse militaire, une vitesse extraterrestre
c'est une vitesse
une vitesse de ténèbre, une vitesse de trou noir
une vitesse où tout est là en même temps
une vitesse qui est partout
une vitesse qui est sans pitié,
inexorable
une vitesse où l'on peut mourir
en étant joyeux
une vitesse qui est une stase, un truc arrêté, insupportable
une vrille immobile
un truc qui met ton corps en mouvement, au pas, en rythme    
un truc où on va jusqu'au bout
truc
à fond
un truc où on va jusqu'au bout un truc à fond

mes yeux sont dans la tête d'un oiseau, d'une chauve-souris, d'un caméléon,
ça me fige à fond
ça me fige à toute vitesse

avec
une détermination absolue
car c'est la seule chose
la seule réalité
la seule vérité

un trou de vertige

de trous en trous, de tunnels en tunnels à toute vitesse
en fermant les yeux
on sent le vertige dans chaque muscle dans chaque bout de peau
dans chaque pouce des ongles, des poils
on sent la gloire et l'intensité
c'est à fond, c'est jusqu'au bout, c'est ultime, c'est total, c'est la vérité, la seule vérité, la réalité, celle où on voit tout en même temps

au fond de toi tu sais
le vertige est la seule vérité
la seule réalité

moi je ressens un vertige
tout le temps tous les jours
je dois constamment me réfréner, me calmer, m'adapter
pour avoir une simple discussion

quand je dis vertige c'est pas n'importe quoi

créons un monastère
des gens qui ont le vertige

le vertige, la seule vérité, la seule réalité, créons des monastères
du vertige












1 commentaire:

  1. je vis dedans, le vertige est la seule réalité, plus grosse que la mienne. J'aime beaucoup ce texte

    RépondreSupprimer