vendredi 11 août 2017

Un Homme et son piano

Un Homme et son piano. Cet Homme qui ne sait pas qu'il joue le même morceau depuis 1371315 touches frappées. Non, il ne sait pas qu'il appartient maintenant au monde de ceux qui ne sont plus, au monde des fantômes. Non, il ne sait rien de cela. Malgré le silence, il continue à jouer. Malgré le son absent de son piano, il continue à marteler délicatement le bois du regard. Malgré tout, il vit au rythme de l'emprunte de ses pouces, index et majeurs contre les touches blanches et noires. Requiem de l'oubli à trois doigts. Requiem d'un fantôme ne vivant que pour son instrument. 



Qu'importe, tant que la beauté du geste est là. 

Tant que la beauté du geste est là, la mort ressemble à un rêve.



Le rêve de cet Homme n'a pas de son. Le rêve de cet Homme n'a pas de visage. De dos, plongé dans son piano, il rêve qu'il goûte une note sucrée. Le sucre fait place à de l'eau. Le do majeur pianoté d'un geste aussi beau que désintéressé. Il n'y a aucun regard porté sur son visage manquant. Il n'y a aucun mots, amas sémantique d'une pensée déjà biaisée. Il n'y a aucun jugement. Juste le geste, sa précision, son attention et une glace à la vanille offerte d'un geste désinvolte.



Cet Homme n'a pas de nom.

Les mots n'appartiennent qu'aux vivants.





Pour les vivants, les mots ne sont que des instruments de défenses, d'excuses, de complaintes, d'analyses stériles d'une situation en constante orbite autour de l’ego. Le pianiste n'a pas de nom. Perdu parmi une foule masquée, il est juste la, présent, ici et maintenant, lui et son piano. Aucun nom pour celui qui en porte un milliard. Aucun nom pour celui que à cesser d'être. Il n'est plus. Souvenirs délavés, passé flouté, il navigue entre la danse de ses doigts et le regard perdu dans cet instant magique ou le moindre mouvement laisse une traînée de couleurs bleues, vertes, oranges et jaunes suspendues dans les airs.

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Pianiste : Vincent Rouard

Texte et photos : S.d

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