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mercredi 27 janvier 2016

ULTRAVORTEX SAISON 3 Épisode 5 : Sur la question des satellites


ULTRAVORTEX SAISON 3
Épisode 5 (final)
Sur la question des satellites


Professeur Kane,


À l’échelle du cosmos, toutes les vérités humaines finissent par être balayées par des paradoxes. Sur Mercure, les jours sont plus longs que les nuits. Sur Venus, c’est l’effet de serre indispensable au développement d’une vie à la surface qui aurait détruit la planète. Notre Soleil, lui, nous donnera la mort aussi bien qu'il nous ait donné la vie. Un jour nous finirons sans doute par apprendre que l’image du rayonnement fossile de l’univers que nous contemplions comme une trace du passé n'était qu'une prévision du futur.


Vous le savez tout aussi bien que moi, ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. Cette sagesse ne souffre d’aucune contradiction et aucune idée ne peut expliquer avec une telle économie de moyen la structure paradoxale de l’univers. Un savoir sur lequel repose toute notre science ésotérique. Il y aurait des centaines de façons d’aborder la question et la réponse. Prenons un exemple simple ; dans ce jeu de miroirs qu’est la réalité, avez-vous déjà vu la Lune ? Ou plutôt, à quand remonte la dernière que vous avez posé un regard rêveur sur la surface du Grand miroir, c’est ainsi que nous l’appelons.


Pour y avoir fait exploser une bombe atomique, la NASA sait que la Lune est une sphère vide. Un artefact conçu pour permettre à la vie de se développer sur Terre, en générant marées et marées, en ouvrant la voie à des cultes à mystères, en donnant aux hommes l'idée de quitter le nid pour se rendre dans l'espace. Un magnifique marchepied. Il en va de même pour les lunes de Mars découvertes du jour au lendemain, et dont la présence était certifiée par une prophétie de Swift en 1727.


Les scientifiques collectent parfois ce genre de faits incroyables et décident qu’il n’y a aucune raison de les ébruiter. Les artistes ont parfois des intuitions, mais personne ne les prends au sérieux. Dans la majeure partie des cas nous sommes dispensés d’intervenir. Le caractère presque magique des grandes découvertes scientifiques du vingtième siècle, la théorie des quanta, la relativité, ou encore la psychologie des profondeurs, pour faire court, sont encore tellement en décalage avec la réalité des sciences sociales que si une équipe de scientifiques se penchait sur notre Livre Interdit pour publier et certifier ne serait-ce qu'une ou deux pages de son contenu, cela aurait autant d’impact dans la société que la découverte de l’Amérique pour les hommes du néolithique.


Il faudra attendre encore longtemps pour que les prêtres d’une nouvelle religion, dans le sens littéral du terme, ne fassent le lien entre toutes ces connaissances pour créer une vision cohérente du cosmos. En attendant, nous avançons dans la brume. L’édifice se monte pierre après pierre, dans un ouvrage dont nous ne verrons probablement jamais l'issue telles les générations de maçons qui se sont succédés à la construction de la grande muraille de Chine. Saviez-vous qu'un grand nombre de ces ouvriers étaient enterrés dans les fondations de l'édifice, ce qui en fait la plus grande nécropole humaine ? À l’échelle d’une civilisation, c’est le confort qui nous tue et le sacrifice qui nous fait vivre. Nos descendants nous remercierons d’avoir su réprimer nos peurs, celles du vide, du gouffre métaphysique et de la tentation du nihilisme.


En parlant du passé, le Livre Inconnu ne parle que du futur. Son contenu pourrait être rendu public, décrypté, sans qu'il ne remette en cause notre organisation. Celui qui en découvrirait le sens profond passerait pour un farfelu, de ce genre d’illuminés catalogués dans la rubrique piposcience de Wikipedia. Il ouvrirait un blog, ou réussirait à se faire éditer dans une obscure maison d’édition pour diffuser ses hérésies, ce qui serait un moyen pour nous de repérer les esprit vifs de notre temps. Notre organisation réfléchit à ce genre de solution, c’est pourquoi nous tâtons le terrain avec des “cobayes” comme vous, passez moi l’expression, mais il s’agit bien là d’une expérience dont nous avons le secret. Depuis la scission, dans le savoir occidental, de la recherche spirituelle et scientifique, l'ésotérisme est devenu une passion triste pour esprits malades. Fort heureusement nous possédons les sels à mêmes de dissoudre les plus grossiers des candidats. La plus grande erreur des esotéristes amateurs ou prétentieusement “initiés” est de se lancer dans une quête éperdue, sans fin, sans fond ; à visiter les lieux sacrés, interroger les livres, se perdre corps et âme sur le plan de l’illusion tout en croyant détenir des clés, alors que le monde s’évertue à nous montrer sa vérité dans une mise en scène d'une simplicité confondante.


Prenons un exemple simple, les médias nous prouvent tous les jours la véracité ce haut paradoxe, pour qui cherche à voir. Chaque divertissement, télévisuel ou informatique, est une manière de vous montrer que vous vivez en cage (la Terre) en attendant que l’on vous sélectionne depuis les coulisses (la base lunaire). Tout est fait dans ce monde pour vous poser des fers et vous domestiquer jusqu’à ce que vous ne sentiez plus votre bâillon. La liberté ici-bas réside dans le fait que chacun choisi ses propres fers. L’ésotériste choisi lui même sa prison mentale, par paresse et exaltation égotique, mais nous pouvons en sortir quelques-uns du troupeau.


Aujourd’hui, nous venons à vous, vous avez joué le jeu, votre jeu, avec vos cartes et notre Comité a apprécié le programme à sa juste valeur. Nous sommes ceux du dessous et du dessus, les grands inconnus. Ce qui veut dire que nous sommes aussi bien partout en tous lieux et parfaitement connus. Nous vous invitons à passer de l’autre côté ou sauter d’un niveau dans le jeu. Contrairement à une rumeur tenace, nul besoin de choisir entre la pilule bleu ou la pilule rouge. Vous avez toujours le choix, mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, aussi vrai que notre vérité est mortelle.


Signé : Ces inconnus qui travaillent pour l'Univers.




jeudi 21 janvier 2016

ULTRAVORTEX SAISON 3 Épisode 4 : Space monkey



ULTRAVORTEX SAISON 3
Épisode 4
Space monkey

Le regard perdu dans le monde imaginaire, Yuri Kane n’avait pas vu débouler le Professeur Lamour. L’homme tapait sur sa portière. La voiture cala quand il essaya d’échapper au zombie et le Professeur se résolut à accepter son destin. Il ouvrit la vitre. La face rouge écarlate du professeur hurlait de rage :
— Ouvrez-moi ! Bon sang !
Yuri observait cette tête grimaçante qui s’était infiltrée dans l’habitacle et lui crachait au visage. Si l’on suivait les informations données par les scénaristes de films de zombies, son organisme ne devrait pas mettre longtemps avant de réagir au virus. Il serait bientôt fixé sur son sort.
— Mais répondez-moi ! Pourquoi c’est un singe qui répond sur votre portable ?
Lamour ne lui demanda pas sa permission et s’installa sur le siège passager de la vieille Opel.
— Mais vous êtes dans le gaz ma parole ! Foncez jusqu’aux barrières, tout le monde vous cherche.
Yuri faisait l’objet de toutes les attentions. Une équipe de garde l’escortait en veillant sur chaque coin du véhicule. Il se demandait dans quel genre d’histoire il s’était fourré. Le pire serait que personne ne l’ait mis au courant de la tenue d’une grande réception, au cours de laquelle il recevrait une distinction et devrait lire un discours de remerciement. Si c’était le cas, l’homme de l’ombre qui s’occupait de sa correspondance aurait pensé à lui rédiger une petite note. Dans le cas contraire, ce serait une opportunité sans pareil de procéder à son suicide social. Il devait être nettement plus aisé de se suicider quand une organisation prenait le soin de gérer l’intendance.
Des singes étaient visiblement à l’origine du changement programme. La mission de Yuri était d’une clarté confondante mais il ne comprenait pas ce que l’on attendait de lui. Personne ne comprenait pourquoi une bande de singes voulait négocier avec un Directeur de laboratoire.
Les militaires débarqués sur les lieux à bord d’un hélicoptère voyaient là la marque d’une organisation terroriste anti-technologie. Sans la présence de Yuri, ils auraient déjà atomisé le Centre.
Un des membres de l’équipe de Sécurité soutenait qu’il s’agissait d’un remake l’Armée des 12 singes. L’homme aux yeux sombres expliquait qu’il s’agissait d’un film d’action avec Bruce Willis et un autre acteur dont il ne se rappelait jamais du nom. Le chef des militaires avançait le nom de Christian Bale tandis que le chef de la Sécurité prétendait qu’Edward Norton jouait le rôle du fils du propriétaire du labo.
Yuri Kane se disait que dans une série américaine, c’était le moment où un geek débarquait pour dénouer l’intrigue. Retrouver le nom de cet acteur était d’une importance capitale pour découvrir la psychologie du groupe d’anarchistes. Yuri débloqua la situation en annonçant que l’on parlait de Brad Pitt. Il venait de vérifier discrètement sur son iPhone.
La confusion portait maintenant sur la méthode à employer pour rejoindre le Centre. Les singes exigeaient que Yuri se rende seul à l’accueil. A pied, cela prendrait un certain temps, il y avait un bon kilomètre à parcourir. En voiture, cela risquerait d’être pris pour une provocation. Sans attendre les délibérations, Yuri enfourcha un Segway X2 équipé d’un petit carter décoré aux couleurs de la société de surveillance.
Empêtré dans la confusion la plus totale, aucun des membres du Centre Opération d’Urgence ne l’avait pas vu partir et ils furent mis devant le fait accompli quand Yuri leur passa un coup de talkie-walkie depuis l’entrée.
Personne ne connaissait le programme de la journée, mais Yuri avait une idée assez précise du comité d’accueil qu’il trouverait en franchissant le carrousel.
À la fin du mois, cela ferait un an jour pour jour que les singes avaient pris le contrôle de son laboratoire situé au dernier étage. Un endroit où les cobayes de ses expériences avaient tout loisir de s’ébattre. Ils profitaient d’une grande serre qui reproduisait les conditions de vie dans la forêt tropicale. Hygrométrie, température, ensoleillement - les conditions étaient réunies pour que les singes trouvent leurs aises. Au point où ils étaient devenus autonomes dans la gestion de leur micro-société.
Aujourd’hui, ils venaient de prendre le contrôle du Centre en bloquant toutes les entrées. La presse n’était pas encore au courant, mais avec des centaines de personnes coincées à l’entrée du parking ou remises sur la route de leur domicile, l’affaire risquerait difficilement de passer inaperçu.
L’un des chimpanzés traversa le hall d’accueil pour poser une paire de Google Glass sur le nez du Professeur, sans lui donner plus d’explication. Yuri le suivit sans se poser de question. Leurs pas résonnaient jusqu’à des endroits qu’il n’avait jamais eu l’occasion de visiter. L’ascenseur diffusait une petite musique d’ambiance. Un air de jazz mathématique. Il ne se souvenait plus de ce type de détails. S'agissait-il d'une création de l’équipe des singes ? Yuri tenta de briser la glace le long des neuf étages menant au sommet de l’édifice. Il ne savait pas s’il devait appeler le singe Monsieur ? S’il avait un petit nom ? Son visage lui rappelait vaguement celui d’un jeune chimpanzé qu’il avait connu autrefois.
La guenon lui répondit que commencer par l’appeler Madame, ou Mademoiselle, serait un bon début.
Pendant que les militaires et la Sécurité débattaient sur la question de savoir comment et pourquoi Bruce Willis avait disparu de sa cellule de prison, le Lieutenant avait déjà reçu ses ordres. Son ordinateur portable diffusait un programme Youtube en direct du labo. La voix de Yuri racontait une histoire sans queue ni tête. Il déclamait son monologue devant un parterre de chimpanzés et de gorilles installés en assemblée. Son flot de paroles s’arrêtait à intervalles réguliers comme pour laisser parler les primates, sans qu'aucun des singes ne semble bouger les lèvres. Yuril répondait à des questions qui n’avaient pas été posées. Il alternait les émotions. Entre l’impression d’être le premier homme à découvrir le barbecue et les sensations d’un singe envoyé dans l’espace pour retrouver une planète qui lui serait devenu inconnue, dans le but d’y annoncer un changement de paradigme.
La mise en scène dépassait tous ses rêves de scientifique les plus fous. Les lois bioéthiques empêchaient l’expérimentation directe sur l’homme. Les greffes bioniques, les modifications de génome, le développement de nouvelles techniques d’apprentissage par mutations cognitives étaient interdites. Même les labos illégaux n’avaient pas pu développer ces technologies sur l’Homme, car il fallait avoir sous la main des individus conscients et consentants. Les filières mafieuses n’étaient capables que de fournir des esclaves malades physiques et mentaux.
En revanche, rien n’empêchait l’expérimentation sur les singes, et cette nouvelle espèce prouvait qu’elle était en passe de prouver sa supériorité sur l’Homo Sapiens Sapiens.
Le projet d’origine était d’utiliser les intelligences animales pour piloter des robots dédiés aux travaux manuels, en utilisant le cerveau des animaux comme base de hardware bon marché pour développer des intelligences artificielles ; une matière première bien plus malléable que l’informatique, ne souffrant d’aucun bug, disponible à volonté, manipulable par l’éducation et la chimie.
Cette nouvelle espèce chimérique ne demandait que des ressources matérielles limitées pour leur élaboration, et devait concurrencer les technologies de fabrication de robots 100% synthétiques. La Nature offrait le matériau que les scientifiques cherchaient à reproduire à coup de programme à plusieurs millions de dollars. La Machine avait dépassé l’Homme là où l’on ne l’attendait pas.
Yuri Kane éprouvait une certaine fierté devant le petit jeu des singes de laboratoire. L’expérience qu’il avait initiée aboutissait au-delà de tous ses espoirs. C’était le moment choisi les militaires pour prendre le Centre d’assaut. Des hommes en armes traversèrent les fenêtres en tirant dans le tas. Personne ne devra jamais savoir ce qu’il s’était passé ici. Les corps des singes tombaient les uns après les autres sous les coups de balles explosives, sans opposer de défense. Yuri ne survivra pas à la mise à sac de l’étage. Une balle plantée en plein dans l’objectif de la paire de Google Glass.
Une solution radicale et nécessaire. Tout le continent risquait d’être confronté à une révolte du “matériel” de laboratoire. Les autorités feraient du Professeur un martyr de la cause. Il avait donné son corps à la Science. Le jour de l’inhumation, le Lieutenant évoquerait le souvenir de James Cole (interprété par Bruce Willis), qui, lui aussi, avait connu une fin tragique pour assurer la survie de l’Humanité.
À peine eut il le temps de mourir que Yuri se réveilla dans une pièce étrangement propre et remise en ordre. La fumée s’était dissipée et la douleur avait disparu. Cette balle lui avait véritablement traversé le crâne. Il retirait ses lunettes pour en vérifier l’intégrité. Pas de flammes, pas de trou, pas de purgatoire - un doux rayon de soleil lui réchauffait la nuque. C’était plutôt une bonne nouvelle de ne pas se trouver en enfer. Tout compte fait, se retenir de tuer sa famille fût une bonne option.
Le comportement des singes l’inquiétait. Ils continuaient de le prendre gentiment de haut, à la manière d’un humain qui parlerait à un chien un peu débile sur les bords. Yuri rigola un grand coup, regardant l’objectif des lunettes interactives. « C’est bon, on arrête tout, merci », se plut-il à indiquer à l’adresse d’une caméra cachée dans un mur. Il y avait vraiment cru, « ces petits gadgets sont remarquables », ajouta-t-il. Il avait compris la leçon et allait reprendre le boulot, promis juré.
Les spectateurs à l’autre bout du réseau se trouvaient dans la même expectative. Les statuts Facebook et Twitter s’empilaient sur internet pour déterminer s’il s’agissait d’une mauvaise blague ou d’une opération marketing à la mise en scène grotesque. Seul Yuri semblait voir les lèvres de ses interlocuteurs bouger. Les singes restaient impassibles et s’adressaient à lui par télépathie.
Le Professeur ne comprenait plus rien, il reposa la main sur la pierre en demandant si c’était ce truc qui lui avait envoyé la décharge dans la tête, pour comprendre instantanément que non. L’hallucination dont il fut victime s’agissait seulement d’un aperçu d’un futur possible parmi toutes les configurations disponibles en un point du réel.
La main sur l’appareil, il repartit dans un nouveau trip. Il survolait les différents scénarios du présent-futur-proche réactualisé pour se rendre à l’essentiel. Mieux que tous les discours, Yuri voyait comment les hommes envisageaient de traiter ces singes. Alors qu’il faisait face à une nouvelle génération de primates qui surclassait les plus grands scientifiques humains - des “animaux” qui résolvaient des équations inconnues, développaient des techniques d’automutations cognitives et avaient réussi la gageure de comprendre les arcanes de l’espace et du temps pour aboutir à cette machine de simulation quantique de la réalité - il découvrait que les applications utilisées par les autorités étaient déjà toutes trouvées. Cette nouvelle physique qui touchait à la fois au temps, à l’énergie et à la biopolitique deviendrait un outil de contrôle social sans égal. Les singes mutants seraient lobotomisés avant d’être robotisés pour en faire des ouvriers ou des militaires, des esclaves. Et l’utilisation détournée de cette machine de prospective uchronique à la simplicité d’utilisation enfantine finirait par devenir la meilleure méthode de suicide trouvée par l’espèce humaine depuis l’invention de la bombe atomique.
Yuri voyait en parallèle - dans une boucle inversement parallèle - ce que les singes voulaient lui montrer. La souffrance de leurs ancêtres. Des animaux de laboratoire que les hommes avaient forcé à fumer des cigarettes, boire de l’alcool, ingérer toutes sortes de drogues et produits chimiques, qui s’étaient vus torturés, martyrisés, infectés pour toutes les maladies virales ou bactériologiques connues dans le seul but d’entretenir le sadisme de ces prêtres de la Technique qui pratiquaient la vivisection comme une forme de sacrifice en cachant leur pratique derrière l’imposture de la nécessité scientifique.
Yuri devait prendre une décision au moment où il perdait totalement pied.
À partir de quand était-il vraiment dans la réalité était une question à laquelle il chercherait une réponse plus tard. Yuri devait prendre une décision créative qui engagerait ses congénères, au moment où ses propres désirs de destruction étaient comblés. Il tenait le destin des Hommes et des Singes dans son libre-arbitre. Pour un scientifique, ce serait presque un pêché d’influencer le cours du monde sur la seule foi d’une vision prophétique. Un seul geste de sa part pourrait conclure le début d’une coopération des deux espèces dans un monde nouveau ou signer leur autolyse commune.

Sous le regard des lunettes-caméra, il retira sa main de la pierre et embrassa ses compagnons un par un.


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vendredi 15 janvier 2016

ULTRAVORTEX SAISON 3 Épisode 3 : Terra incognita


ULTRAVORTEX SAISON 3
Épisode 3
Terra incognita

La rationalisation du fantastique, c’est enfantin. C’est un gamin de cinq ans auquel on raconte l’histoire de la petite souris qui vient durant la nuit déposer une pièce contre une dent de lait et qui vous explique que la petite souris viendra en voiture car le chemin à pied sera trop fatigant. Une partie bien précise du cerveau se met en marche et trouve une réponse rationnelle au mystère. Une autre partie, la part des anges, imagine. L’histoire de la science n’est qu’une grande chaîne de morceaux de cerveaux qui se répondent les uns aux autres dans une épopée chaotique. Nous sommes encore loin de pouvoir concevoir une véritable intelligence artificielle. Nous sommes à peine capables de concevoir une définition valable de l'intelligence, nous ne percevons encore le cerveau comme un simple réseau de câblages, d’entrées et de sorties, une suite d'algorithmes répondant à certains types de problèmes, et pourtant, il nous faut avancer à tâtons pour découvrir un jour l’impensable. Cette quête n’est pas un passe-temps à 100 milliards de dollars pour passionnés de science-fiction. Il s’agirait presque de religion. C’est nous que nous cherchons à travers la création de robots, d'androïdes et de super intelligences artificielles. La recherche de nos limites et de notre singularité n'a rien à voir avec l'image d'hérésie millénariste que nous renvoient nos détracteurs. La science recouvre quelque chose de bien plus mystérieux que la magie quand elle en arrive à sortir de ses propres dogmes pour continuer à poser les questions, imaginer des réponses, sur les questionnements les plus fondamentaux de ce qui compose notre réalité. Le magicien du futur sera, imaginons-le, une machine douée de conscience établissant une mythologie cohérente autour de l’unification des lois de la physique. Une science à mystère telle qu’on la pratiquait en d’autres temps, sous d'autres noms.
Christophe Colomb, lors de sa troisième traversée de l’Atlantique, quand il ne put faire concorder ses découvertes avec les tracés du globe de Behaim, cru tout simplement qu’il avait trouvé le paradis terrestre. Après avoir maîtrisé les courants insidieux du détroit de l’Orénoque qui faillirent mener par le fond ses galions, il remonta une mer d’eau douce qu’il prit l’un des cinq fleuves sacrés prenant leurs sources au paradis terrestre avec l’Inde, le Gange, le Tigre et l’Euphrate. Colomb cru jusqu’au retour de son quatrième voyage qu’il se baladait sur les côtes de Chine et sur l’île mystérieuse de Cipango, l’ancien nom du Japon. Le navigateur fit même jurer à ses hommes d’équipage que Cuba était le début du continent indien. Colomb, nettement plus intéressé par l’ouverture de voies commerciales vers l’Orient que par la découverte de l’inconnu se découvrait là une sorte de destinée messianique. Si le Seigneur l’avait poussé jusque dans ce paradis, c’est qu’il n’était pas un hérétique. Il n’en fallait pas beaucoup pour attiser le délire mystique d’un croyant du seizième siècle perdu à l’autre bout du globe. Il n’est pas de découverte dans le domaine du savoir et de la connaissance qui ne soit pas imprégnée de peur et de folie. La peur de l’inconnu qui pousse l’homme à saisir la localisation de nouveaux territoires, d’en imaginer les contours et les habitants, nécessairement monstrueux, mystérieux et belliqueux, comme par une forme de rationalisme qui pousserait au développement d’une imagerie fantastique. Et la folie qui pousse des êtres à sortir des conventions, des hommes qui ne prétendront au titre d’aventurier que lorsque leur découverte sera acceptée par l’establishment au terme de longs et douloureux débats.
De l’antiquité jusqu’à l’aube de la Renaissance, en suivant les cartes de Ptolémée ou de Marco Polo, les hommes étaient persuadés qu’au sud de l’équateur, rien ne pouvait vivre d’autre que des monstres. Le sud du continent africain se nommait alors, pour les Européens, les Terres Brûlés, où nul n’était censé pouvoir survivre mis à part des aliénés ayant pactisé avec des bêtes infernales ou un démon opportuniste. La terreur qu’évoquaient ces contrées était telle que même l’imagination n’osait s’y aventurer, aucun bestiaire ne s’avançait à établir un inventaire de ce territoire. J’imagine le tremblement fiévreux qui devait prendre la main de celui qui allait poser, de par sa plume, les mots de “Terra Incognita” sur la carte. À l’Est, les Indes, et plus généralement l’Orient, figuraient d’étranges mondes peuplés de  monstres fantastiques, d’horribles bêtes et de mutants, des Pygmées ne vivant que huit ans et mettant trois ans à enfanter, des macriobiens en guerre contre les griffons, des lions ailés, des acéphales aux yeux dans les épaules. Que la Terre soit plate, ou sphérique (ce que les savants de l’antiquité savaient déjà - tirant leur savoir d’une miraculeuse intuition ou d’une ancienne connaissance à jamais perdue), cela ne résolvait aucun mystère, mise à part la certitude de pouvoir s’aventurer dans les terres inconnues sans risquer de tomber dans le vide ou dans une autre dimension.
La même idée de constitution d’un bestiaire cosmique résidait dans l’imaginaire collectif à l’aune de l’exploration spatiale. La seconde guerre mondiale avait poussé la civilisation à repousser une nouvelle frontière et investir le ciel, l’espace, les satellites, les télescopes, les théories d’Einstein et d’Hubble sur l’Espace et le Temps ouvraient l’esprit humain à de nouvelles conjectures. En est témoin la littérature dite de science-fiction imaginant sur Mars, sur Venus et bien plus loin encore la trace de créatures effrayantes et de cultures exotiques. Les scénarios, dans leur ensemble, relataient l’imminence d’une catastrophe, comme si deux guerres mondiales, autant de bombes atomiques, et un génocide n’étaient qu'un avant-goût prophétique du futur. Mais nous ne pouvons pas leur donner tort, la première colonie espagnole établie par des hommes de Colomb échoués sur les bords d'Hispaniola (l’actuelle Haïti et République dominicaine) se termina dans un bain de sang. La première cohabitation entre les deux mondes dans un petit fortin baptisé “Nativité” annonçait la suite de la conquête des Amériques, du sang, des lames, du feu, des flammes. Comme quoi le bestiaire n’était pas à chercher dans les forêts sauvages mais dans les esprits des hommes livrés à la fureur de la découverte et de l’inconnu.

Trouver de nouveaux mondes ne demande pas des moyens exceptionnels, il faut toutefois être en mesure les imaginer, pour ensuite les cartographier à la lumière de l’imaginaire. Il faut parfois persévérer dans l'erreur, comme l’avait fait Colomb qui s’obstinait à dessiner les cartes de l’Orient sur le territoire des Amériques. Ces mondes inconnus, aujourd’hui, quels sont-ils ? Où sont-ils ? Juste devant nos yeux, sans doute, dans le vide des atomes, dans les étranges connexions de nos cerveaux, dans l’inconcevable marche en avant du temps ? Quels genres d’abominations pourrait-on imaginer dans des temporalités parallèles ou concurrentes ? Si le temps existe, qu’en est-il d’un monde évoluant dans un anti-temps ? Autant de questions qui me donnent des frissons dans le dos. L’homme de la rue croit que nous autres, scientifiques, avons découvert tout ce qu’il y avait d’important à découvrir dans l’univers et que notre travail se limite à mettre la lumière sur quelques zones d’ombre réfractaires. Sauf que les échelles de temps et de dimensions auxquelles nous faisons face ne parlent pas à l’homme moyen, trop occupé à concentrer ses fantasmes et ses peurs sur l’écologie, la biotechnologie, la robotique ; pendant ce temps, nous avançons dans l’infiniment grand et l’infiniment petit, dans un univers à n dimensions, comme des chasseurs s’aventurant dans les sombres forêts du Moyen Âge, prêt à voir bondir un démon derrière chaque tronc d’arbre. Si nos contemporains comprenaient la véritable nature des zones que nous explorons, leur vulgarité congénitale se transformerait en terreur, juste un instant, le temps de réduire ces paradoxes stupéfiants en jeux d’esprits triviaux, usant du processus mental qu’ils maîtrisent le mieux, à savoir la dissonance cognitive.

Source : Extraits du carnet de notes du Professeur Kane



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mercredi 30 décembre 2015

ULTRAVORTEX SAISON 3 Épisode 2 : Une seconde avant la peste



ULTRAVORTEX SAISON 3
Épisode 2
Une seconde avant la peste

Le couple fêtait leur anniversaire de mariage dans un restaurant à la carte Fusion Food. Madame Kane découvrait les saveurs d’un risotto de Saint-jaques, fenouil et poireaux. Monsieur Kane restait lui aussi sur une valeur sûre, salade au saumon fumé assaisonnée d’épices non identifiées, le tout arrosé de vin blanc d’Afrique du sud.
Les histoires de bureau de sa femme, les rivalités informulés entre collègues, les conflits larvés avec les différentes strates de direction n’avaient aucune prise sur lui. La femme voyait bien que son mari ne l’écoutait pas, ce qui ne l’empêchait pas d’aller jusqu’au bout de son speech comme si elle cherchait à se vider d’une mémoire vive par trop saturée.
Leur entente avait toujours surpris leurs amis. Des amis qui se faisaient de plus en plus rares au fil des années. Ce n’était ni le fric ni le sexe qui tenait le couple. Les deux n’avaient presque rien en commun. À presque cinquante ans, et avec sa tête qui lui tombait entre les épaules, Yuri Kane faisait figure d’adolescent mal dans sa peau à côté de cette ancienne championne d’arts martiaux. Il n’était pas difficile de savoir qui portait la culotte dans le foyer.
Une passion peu commune les avait réunie. Ils avaient constitué au fil des ans une imposante collection de bonsaïs. Une des plus importantes de France, pour des amateurs, et leur réputation courrait jusqu’au Japon. Ayant grandi dans une famille de maraîchers, Madame Kane appuyait son approche intuitive des cycles de la nature sur les connaissances encyclopédiques de son mari. Yuri abordait la géométrie de la taille et l’entretien de ces arbres cultivés en pot avec une rigueur scientifique pendant que sa femme faisait preuve d’une créativité débridée dans le respect des règles de l’art.
Depuis les évènements, au retour du travail, Yuri s’attaquait à sa collection de single malt et de blended malt. En ce jour de fête, la bouteille de Monkey Shoulder n’avait pas résisté aux assauts. Il avait liquidé la dernière moitié du flacon à coup de doubles doses et commençait à bien sentir les effets de l’alcool. Ce qui lui permit d’accueillir avec sérénité l’incompétence de la serveuse qui venait de lui renverser un café brûlant sur les cuisses.
De retour du restaurant, il se servit une rasade de Caol ila Distillers Edition, pour bien finir la soirée et se cramer la tête en beauté. La télévision diffusait un programme de téléréalité avec des citadins lâchés en pleine nature sans argent ni smartphone. Un Koh Lanta au cœur du bocage normand. Le chien avait l’air de se régaler du spectacle. Le monstre régnait sur le canapé en cuir et n’avait aucune intention de partager son territoire. Yuri n'avait aucune envie de provoquer l'animal, il s'assit sur le sol pour faire le point sur son niveau d’estime personnel. Il n’était même pas capable de tenir tête à ce bâtard qui ne ressemblait à aucun croisement répertorié, alors comment aurait-il pu réussir à se faire respecter de ses enfants ?
À cette heure tardive, son fils devait probablement se zombifier devant un écran, s’il habitait encore ici. Quant à ses filles, il fallait miser sur la chance pour croiser l’une d’elles, entre deux sorties dans les boutiques ou chez les copines.
La maison faisait vaguement office d’hôtel et le chef de famille avait progressivement endossé le rôle de majordome. Le chien aboyait désormais sur Camélia, la bimbo-porno du programme. Elle faisait du stop les seins nus sur le bord d’une route de campagne dans l’espoir qu’un autochtone la téléporte hors de cette réalité.
Dans ses rêves les plus fous, Yuri se prenait à imaginer le meilleur moyen de liquider sa famille pour vider la maison de ses meubles et de tout son luxe superflu, avant de finir sa vie en prison, muré dans l’ascèse la plus radicale.
Les journalistes feraient de lui une star. Dans les reportages sur les faits-divers et les tueurs en série, on commencerait par le montrer sous son meilleur visage, à l’aide d’un diaporama de photos de famille. On verrait le Professeur sourire à contre-cœur, l’air engoncé dans un costume trois pièces, sourire gêné, esquissant quelques pas de danses maladroits avec les convives d’une communion ou d’un mariage.
On lui trouverait bien un loisir anodin, quelque chose d’autre que cette passion un peu bizarre qu’il partageait avec sa femme. Il aimait bien marcher les soirs d’été autour du lac. Voilà une belle carte postale pour un père modèle. Traveling le long du plan d’eau pendant l’interview de l’Officier de Police Judiciaire chargé de l’enquête.
Caméra à l’épaule, le journaliste interrogerait des voisins planqués derrière leur fenêtre, le visage camouflé par des pots de géraniums. Le voisin d’en face témoignerait de son comportement en demi-teinte, sur la réserve dont le Professeur faisait preuve en toutes occasions.
« Il ne parlait pas beaucoup, vous savez, mais comme il travaillait au Centre, on se disait qu’il n’avait pas le droit d’en dire trop. Le pire c’est pour les enfants. Pardonnez-moi l’expression, mais le fils nous emmerdait bien le week-end avec son quad, mais c’était pas un mauvais bougre, non, ils ne méritaient pas ça... ». Les voisins ne commencent à vous apprécier qu’à partir du moment où ils se savent débarrassés de votre présence pour toujours.
Dans un décor forestier, avec le Centre en arrière-plan, le journaliste poserait alors la question qui tue - le ton grave - de savoir pourquoi cet homme avait pété les plombs en assassinant sa famille à l’arme blanche. Qu’était-il passé par la tête de ce scientifique d’envergure internationale pour qu’il en arrive à bazarder les cadavres de sa femme et de ses trois enfants dans un ravin ? Nous allons vous raconter le récit de cette descente aux enfers avant de passer au témoignage du Professeur Yuri Kane que nos équipes ont pu rencontrer dans le quartier Haute Sécurité de la prison de Fleury-Mérogis.
Et sans attendre une page de publicité !
L’état de catatonie dans lequel était plongé Professeur l’aurait empêché de mener à bien le moindre de ses fantasmes. La seule fois où il s’était aventuré à utiliser un couteau de cuisine, la course du poulet rôti s’était achevée sur le carrelage de la cuisine dans une garniture de bris de verre. L’histoire s'était finie aux urgences avec cinq points de suture dans la paume de la main et un tendon sectionné.  
Il pourrait toujours essayer de surprendre son fils avec une pioche pendant une partie de Call of Duty. La difficulté serait d’avancer dans la chambre sans se prendre les pieds dans un tas de fringues sales et se retrouver enseveli sous une architecture abstraite tirant ses origines du chaos ambiant.
Pour exploser le crâne de ses filles, il attendrait leur retour de discothèque. Complètement alcoolisées, elles rigoleraient comme des dindes en voyant leur père lever un marteau de coffreur dans les airs. Mais encore faudrait-il qu’elles n’aient pas l’idée de ramener cette nuit là un douchebag dans leur lit. Yuri ne s’étonnait plus de croiser l’un de ces spécimens de posthumain dans sa maison. Pas plus tard que ce week-end, c’était un culturiste peroxidé qui pratiquait des exercices de musculation sur le tapis du salon, vêtu d’un slip orange fluo, avec le dernier album de Daft Punk à plein volume. Le pauvre garçon devait être complètement drogué et se croyait sans doute sur une plage d’Ibiza.
Sa femme serait un plus gros morceau. La teigne avait la tête dure et risquerait de le casser en deux avec une prise de karaté. Elle lui aurait arraché le bras avant qu’il n’ait l’intention de l’attaquer et lui récurerait l'œsophage avec la cime d’un Juniperus rigida jusqu’à ce qu’il comprenne la leçon.
Il avait souvenir d’un reportage à la télé dans lequel un journaliste avait réussi à commander des flingues et de la drogue sur internet avec un système de réseau crypté et de monnaie virtuelle. À bien y réfléchir, il risquerait de se faire pigeonner et de tomber sur une arme en plastique, ou tuerait par mégarde un randonneur en s’entraînant sur des cibles dans la forêt.
Sa malchance était proverbiale. Surtout avec les bagnoles. Simuler une sortie de route serait surtout l’occasion pour lui de provoquer un véritable accident et de rester coincé dans la voiture au fond du ravin. Il mourrait de soif entouré des cadavres pourrissant de sa famille.
La dernière option serait d’empoisonner tout le monde, les gosses, la femme, les bonsaïs. Et les voisins tant qu’on y est. Voilà une idée de scientifique. Il prendrait son pied à concocter la potion magique, mais il faudrait toujours se débarrasser des corps. En les coulants dans l’étang par exemple. Autant dire qu’il serait plus pratique de prier pour qu’une catastrophe naturelle ravage la région.
Sur la route menant au Centre, il s’imaginait un monstre tout droit sorti d’une des grottes qui parcouraient la forêt. Un gigantesque reptile vengeur venu des profondeurs de la Terre et des âges pulvériserait toute trace de civilisation sur son Royaume. Les voitures seraient attrapées comme des jouets et lancées sur la zone commerciale façon Godzilla. Et booooom l’Hyper Carrefour ! Et booooom le Bricorama ! Et booooom le Norauto !
Retournement de situation : Le reptile géant crierait de rage en découvrant que les humains préfèrent se ruer au Conforama pour voler des canapés et des écrans plats plutôt que de s’enfuir de la ville comme le faisaient les villageois d’autrefois. Alors, une comète géante aussi grande qu’un département français s'abattrait juste sur le capot de la voiture de Yuri pour clore cette incursion du fantastique dans la réalité.
Rien de spectaculaire pour le moment, sauf que l’unique route desservant le Centre était bouchée. Les voitures serpentaient à l’arrêt le long de la petite côte qui donnait sur le parking sécurisé. Certaines commençaient à opérer des demi-tours sur les bas-côtés en suivant les ordres de la Sécurité. Un incendie avait dû obliger les autorités à fermer le Centre, se disait Yuri.
Comme il ne voyait pas de fumée s’échapper du toit, il pensa tout de suite à une catastrophe biologique. Un virus devait déjà se répandre dans la région. La peste s’occuperait de liquider sa famille sans qu’il ne mouille la chemise. Comme quoi, il y avait toujours de l’espoir. L’ironie de l’histoire serait que son indifférence l’immunise contre toute contamination et qu’il finisse seul sur Terre.


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mercredi 23 décembre 2015

ULTRAVORTEX SAISON 3 Épisode 1 : Un univers court-circuité



ULTRAVORTEX SAISON 3
Épisode 1
Un univers court-circuité

Le ballet des voitures sur le parking du Centre de recherche annonçait la fin d’une nouvelle journée de non-travail. Le Professeur pouvait quitter les lieux sans se préoccuper du rangement. Son bureau ressemblait à un appartement témoin après le passage d’un décorateur d’intérieur porté sur une version hard core du Feng Shui.
Rien ne subsistait de l’ancien aménagement de la pièce, hormis une table et une chaise sur laquelle il passait l’essentiel de ses journées à fixer un mur blanchi par le soleil. Des empreintes rectangulaires parsemaient la surface des cloisons, vestiges de posters, plans, schémas et calendriers d’une époque où il avait encore de quoi s’occuper.
Il se demandait combien de temps encore la direction du Centre accepterait de le laisser entrer dans la zone. Face aux gardes du parking, au moment de franchir le tourniquet du hall d’entrée et devant chaque porte blindée réclamant un scan corporel, il espérait secrètement se voir refuser l’accès. Ce serait alors l’occasion de provoquer un mini scandale, comme l’aurait fait tout employé mis face à ce genre de situation. La Sécurité aurait fait profil bas devant le Directeur de l’unité expérimentale de recherche génétique et le Professeur Yuri kane aurait fini par se calmer en promettant aux vigiles qu’ils auraient de ses nouvelles. Il rentrerait sagement chez lui, à l’instar de ses collaborateurs directs qui ne prenaient même plus la peine de se rendre au laboratoire.
Yuri se demandait combien de temps il continuerait à faire illusion parmi ses confrères qui persistent à tarir d’éloges sur la qualité de ses publications dont il ne connaissait pas la teneur. Le restaurant du Centre était un lieu qu’il évitait par-dessus tout. La vision du mot “restaurant” sur les panneaux de signalétique provoquait en lui une terreur sourde. Une décharge de drogue métabolique stoppait le cours de ses pensées à la simple vue de ces dix lettres.
De quoi parlerait-il avec ses confrères ?
La traversée des couloirs était l’occasion de mettre en pratique une diversité de stratégies d’évitement. Il fallait choisir les bons horaires, anticiper les rencontres, en marquant de courtes pauses dans un local de maintenance dont l'austérité n’avait rien à envier à l’agencement de son bureau.
Prendre l’ascenseur était exclu. Passer par l’escalier lui permettait de faire un peu d'exercice et de ne croiser aucun des scientifiques qui prétendaient échanger des informations avec son équipe au sujet de ces fameux programmes de recherche dont il n’avait jamais vu la couleur.
Comment aurait-il pu entendre parler de cela puisqu’il n’avait pas touché un ordinateur ou une boîte de pétri depuis des mois ?
Yuri se demandait combien de jours il lui restait avant qu’un technicien ne détache la plaque au nom du Professeur Kane sur la porte du bureau pour la remplacer par une mention “Salle des archives” ou “Animalerie - Confinement”.
Les salaires continuaient à tomber chaque mois. Sa femme ne s’apercevait de rien. Elle avait épousé un scientifique il y a maintenant vingt-cinq ans et avait dû se faire à l’idée que cette espèce d'hommes vivait sur une autre planète que la nôtre.

Extrait du carnet de notes du Professeur Kane

Chaque jour, j’avançais d’un pas dans mon grand projet : faire le vide était devenu une priorité de tous les instants. Les premières victimes furent les boîtes inutiles, les objets de décoration et ces bouts de papier cartonnés que l’on s’obstine à garder en dépit de toute logique, fétichisme insidieux pour bureaucrate angoissé. Marquer le temps. Marquer l’espace. Marquer la possibilité de l'existence de mondes possibles par une sorte de flottement d’une contingence diffuse. S’en libérer pour se convaincre qu’atteindre un point de non saturation est le fait d’une nécessité supérieure. Il n’y a aucune inspiration à tirer de ces reliques, pas plus que de ces piles de revues que je n’aurais jamais le temps ni le courage de lire. Tout ranger - tout compresser - serait terme plus approprié - dans des armoires : classeurs, fiches, fournitures, matériel informatique. Des boîtes dans des boîtes dans des boîtes jusqu’à ce qu’on ne puisse plus en ouvrir une sans se retrouver enseveli sous une avalanche de boîtes. Des employés de la maintenance réquisitionnés pour l’occasion m’avaient débarrassé du superflu sans se poser de question. La fuite des armoires ouvrait de nouvelles perspectives. Tout était devenu possible, enfin. Je méditais face à mon bureau réduit à sa plus simple expression : une table avec pour seule décoration une sorte de boule de cristal. Et ce tas de feuilles blanches accompagnées d’un stylo bille attendaient comme moi une quelconque révélation. Faire le vide pour recevoir une illumination échappée des profondeurs de l’atome. La bulle de cristal roulait sur la surface granuleuse. Elle n’épousait qu’une infime proportion de la surface. À un niveau microscopique, l’on pouvait même prouver que les deux surfaces ne se touchaient pas. Elle surfait sur la matière tout autant que nous naviguons dans l'espace sans aucun contrôle sur le temps. Des secrets, elle en avait vu, elle se plaisait ici bien avant mon installation, et je me plaisais tout autant à la faire tourner dans mes doigts pour contempler une version renversée de mon univers. L’ombre verte de la forêt m’interpellait au travers de la vitre et de la bulle. Peut-être devrais-je installer des plantes dans ce bureau ? Une plante verte, dans une grande bulle, pour répondre aux questions de ma boule de cristal. Dans une telle bulle, et avec des conditions de lumière et de températures stables, il était possible de recréer une biosphère. Un scientifique l’avait déjà prouvé en enfermant une plante dans une jarre hermétique et en l'oubliant pendant cinquante ou soixante ans dans un coin de son salon. La plante y avait recréé son propre écosystème sans besoin que l’on ne renouvelle l’air, l’eau ou le substrat. À défaut d’arrêter le temps, le temps s’est mis en boucle. L’éternité ne serait alors qu’une suite de cycles, de spirales en circuits fermés se renouvelant à l’infini. Réduit à sa plus simple expression, un système solaire pourrait tout autant se concentrer dans une bulle, dans une expérience bien plus excitante qu’un simple jardin miniature : toute la matière d’un système solaire exploitée, concassée, triée, reconfigurée, pour construire une sphère de Dyson autour de son soleil, captant l’intégralité de son énergie dans une biosphère artificielle. Si l’on suivait les directives de Ray Bradbury, en superposant les sphères de Dyson comme autant de poupées russes, il nous serait possible d'aboutir à la création d'un Cerveau mécanique d’une capacité de calcul sans égale. La surface de l’Etoile-Cerveau prendrait l’allure d’un immense terrain de jeux aux réalités et aux temporalités connexes et conjointes. Je m’imagine posant le premier pas à la surface du Nouveau Monde, à la recherche de nouveaux mystères de la physique et de nouvelles machines intelligentes, découvrant de nouvelles temporalités, pourchassant des monstres tapis dans les recoins les plus sombres du temps, conquistador de no man’s lands virtuels. Depuis mon grand bureau vide, je rêve que l’on m’expédie à l’autre bout de la voie lactée pour me charger d’une telle mission, chef d'un Empire de robots et de machines savantes. Je ne crains ni la mort ni la souffrance. Je ne crains même pas la réaction de mes contemporains. Je ne crains que le temps qui passe.



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vendredi 18 décembre 2015

ULTRAVORTEX (PLUGIN 01) La peste


ULTRAVORTEX (plugin 01)
La peste

[...]
18
traque sans résultat
et désormais seul
RICKY parti avec strict nécessaire. m’a fait don du reste
convaincu de trouver la frontière. et y survivre
situation clarifiée
ici bas:
aucun journaliste. militaire. humanitaire. ou entité apparentée à un expert. un spécialiste. ou un sauveur
là-bas:
la terreur doit les empêcher de pointer un objectif dans notre direction.
UN seul oeil se pose encore sur notre trajectoire. celui d’un dieu
OU d’un satellite. prêt à guider une ogive nucléaire

19
changement de planque / RAS / marche toute la journée. sans encombres. calme. toujours

20
hélicoptère quadrille secteur sud. inventaire ? décompte ?
inventaire réserves : OK
inventaire enquête : aucune trace du médecin depuis J+12 . trois possibilités
se cache : effectue prélèvements avec extrême prudence. sait être recherché
job terminé : n’est plus dans la zone
mort : doit retrouver son attirail
il est vivant. dois l’écrire pour m’en convaincre. intuition autant qu’obligation. sinon ma présence n’a plus aucun sens.
cette pensée m’occupe. en boucle
reprendre traque demain au point du jour

21
encore loin de saisir la situation. réagi comme s’il y avait toujours un rapporteur. comme dans une réalité montée. diffusée par des spécialistes
dernier flic est un ermite
dernier toubib est un boucher
rideau levé. seul. nu
prendre conscience que dernier enquêteur = dernier chroniqueur
de quoi ?
chercher tient en vie. écrire. garder en mémoire. déchiffrer. tout mon temps pour réfléchir. trop vite. pas assez pour l’écrire
pourquoi rester ?
frontière = balle dans le crane
alors réécrire. expliquer ?
non
ils ont tous des réponses
ont oublié la question
monceaux de chair. en putréfaction. cobayes
seulement ? ou emprise du malin. sur l’esprit humain. sans limite. toujours repoussée
connaissance ou vérité n’est d’aucune utilité DIEU a déserté. la peste prend place nette. le monde cherche raison sur absence de justice
ne s’agit que de rendre compte
ouvrir les yeux et survivre
faire de ma chair. une boîte noire. et prier
pour que les données soient transmises. à qui de droit
en temps voulu

26
cette ville n’est plus. ne sera plus. quartiers pittoresques. port. stade. plages. subsiste un pli. un trou. sur la carte
trop grande. trop calme. trop malade. trop infecté. stérile
perdu le fil
arpenter bord de mer. face à la ville. moins de fumée à l’horizon. plus d’essence. réservoirs siphonnés. plus une goutte de carburant pour creuser fosses communes. livres pour allumer bûchers
ville morte. continent suivra
en une seule vague
ni désinfection. ni reconstruction. ILS ne veulent rien savoir
ce carnet. aucune utilité. tâche impossible. sillonner. quadriller. tous quartiers. établir plans. recommencer. errer au milieu de ruines sans piste
suis un homme seul. déserté. labyrinthe sans sortie
ne reste aucun chirurgien pour autopsier victimes
monde définitivement mort. reste à rédiger un dernier rapport
une épitaphe
avant d’être emporté
ressasse cette histoire depuis trois jours. repris toutes les pistes. revu toutes les hypothèses formulées. relu toutes les notes
ECHEC

29
dernier spectateur
moi. enquêteur sans but
moi. flic châtieur sans justice
un homme violait un cadavre. abattu
aussi simplement : balle dans le crâne.
attendu le juste moment de sa jouissance pour tirer
non pas que la situation implique jugement ou sanction.
n’est pas le premier nécrophile croisé :
ville réclame coup de théâtre
non un flic pour remettre ordre
un agent de la destruction. plus violent que le malin. prenant de cours. amplifiant spectacle. condamner chemins. refermer rideau
diabolus ex machina
hors du temps. sans loi. ni ordre
créateur réclame expérimentateur
chaos cherche destructeur
se passe certaines choses ici. ne doivent pas être conter. ni compter. seulement détruites
peste n’est pas châtiment. ni punition divine
mais son absence manifeste
monde refuse de mourir. de guérir. jeu du démon est renouvellement. valeur. empilement de nombres. cadavres. souffrances. aucun rachat. le diable offre la liberté de tester les limites
grandeur nature
carte blanche

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A l’avenir tâchez de prendre soin de votre peau et de votre carnet. Ce dernier contient de précieuses réponses.
Vous tenez par ces quelques lignes la preuve de mon existence. Je n’ai rien d’autre à vous confier. Sauf deux questions.
Qu’attendez-vous de moi ?
Une traque est-elle le meilleur moyen d’obtenir vos réponses ?
Laissez un message en évidence, ici même, si vous vous sentez capable de répondre sans détours à ces deux questions. Sans me tuer. Cessez de me pister. Je sais qui vous êtes, où vous êtes et comment vous échapper.

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hier encore. ai cherché à vous abattre. réfléchissais à un plan. vous tuer comme ceux qui m’ont fait perdre ce carnet. la seule issue reste de vous le confier. à votre charge de rédiger le dernier rapport.

IDENTITE : KANE YURI
DDN : 21/12/1979
PROFESSION : Inspecteur. (Cela vous étonne ? Mais vous même, êtes vous vraiment un flic ? )
CHRONOLOGIE : La raison de mon internement sont mes visions, qui ne m’auraient portées aucun préjudice si je n’avais pas harcelé les sites d’informations, les journalistes, les hommes politiques, jusqu’à ce que je sois enfermé après avoir menacé le premier ministre sur sa page facebook.
Je me suis évadé au début des événements, quand le personnel médical fût réquisitionné.
Si nous sommes encore là. C’est que l’exode a laissé une quantité importante de vivres. Bien que l’odeur soit insupportable, qu’il n’y ai pas d’eau courante, ni d’électricité, la survie est possible.
Si nous sommes encore vivant c’est que nous ne nous sommes pas encore résolus à nous laisser posséder.
Cette ville était déjà morte bien avant que tout cela ne débute.
On trouverait bien quelques virus ou bactérie dans ces corps mais ce n’est pas la cause.
Ainsi ils n’ont largué aucune caisse de vaccin ou d’antibiotiques. Encore moins d’eau, de vivres, de chaux, d’essence, ou d’armes... Ils pourraient tirer à vue, envoyer des commandos de reconnaissance, nous atomiser.  Bref, ils se contentent d’observer. Ils analysent. Ils attendent.
Il n’y a pas pas d’épidémie.
La substance des choses elle même est en jeu. C’est là où il frappe. Dans la chair qui a perdue toute valeur par son accumulation dans les rues. Elle porte les stigmates. Dès qu’il a pris possession de l’esprit, l'âme ne lui est plus d’aucune utilité. Quand bien même elle n’aurait pas déjà quitté le corps.
Alors celui que vous nommer le démon écrit dans la chair, pour s'infiltrer dans le réel et prouver l’évidence de son existence. Ensuite, il n’est plus, et doit recommencer, sans arrêt.
A croire qu’il y soit contraint, qu’il s’agisse pour lui de survie, du dernier endroit où se réfugier, traqué par une force plus forte que lui. Considérons là qu’il s’agisse là de notre seul espoir.
J’ai voulu confirmer mes visions. Il m’aurait fallu disséquer un corps encore vivant pour savoir.  
Mais je n’ai pas pu m’y résoudre.
PS. Puisque que vous aviez l’air d’y tenir, et que vous êtes un tueur, je vous fais don de l’ensemble de mon matériel de chirurgie, dans le sac attenant. Pourvu que vous sachiez en faire usage et trouver vos réponses.
Lorsque vous lirez ces lignes j’aurai quitté la zone.

nu.
à l’abri.
stylo. carnet. bistouri. scotch.
continuons à monologuer entre morts. moi et vous. cher “chirurgien”
continue à croire qu’une issue est possible. à condition d’abandonner tout espoir d’expliquer ce monde par des mots.
si vous n’étiez parti. je vous aurai fait don de ma chair. la marque. une étoile. marbrure. mouvante. sous la peau. la couleur. la forme. changeante. active mais non vivante.
en votre honneur. je vais trancher.
quelque soit la réponse.

il ne reste plus rien à dire.



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