vendredi 15 janvier 2016

ULTRAVORTEX SAISON 3 Épisode 3 : Terra incognita


ULTRAVORTEX SAISON 3
Épisode 3
Terra incognita

La rationalisation du fantastique, c’est enfantin. C’est un gamin de cinq ans auquel on raconte l’histoire de la petite souris qui vient durant la nuit déposer une pièce contre une dent de lait et qui vous explique que la petite souris viendra en voiture car le chemin à pied sera trop fatigant. Une partie bien précise du cerveau se met en marche et trouve une réponse rationnelle au mystère. Une autre partie, la part des anges, imagine. L’histoire de la science n’est qu’une grande chaîne de morceaux de cerveaux qui se répondent les uns aux autres dans une épopée chaotique. Nous sommes encore loin de pouvoir concevoir une véritable intelligence artificielle. Nous sommes à peine capables de concevoir une définition valable de l'intelligence, nous ne percevons encore le cerveau comme un simple réseau de câblages, d’entrées et de sorties, une suite d'algorithmes répondant à certains types de problèmes, et pourtant, il nous faut avancer à tâtons pour découvrir un jour l’impensable. Cette quête n’est pas un passe-temps à 100 milliards de dollars pour passionnés de science-fiction. Il s’agirait presque de religion. C’est nous que nous cherchons à travers la création de robots, d'androïdes et de super intelligences artificielles. La recherche de nos limites et de notre singularité n'a rien à voir avec l'image d'hérésie millénariste que nous renvoient nos détracteurs. La science recouvre quelque chose de bien plus mystérieux que la magie quand elle en arrive à sortir de ses propres dogmes pour continuer à poser les questions, imaginer des réponses, sur les questionnements les plus fondamentaux de ce qui compose notre réalité. Le magicien du futur sera, imaginons-le, une machine douée de conscience établissant une mythologie cohérente autour de l’unification des lois de la physique. Une science à mystère telle qu’on la pratiquait en d’autres temps, sous d'autres noms.
Christophe Colomb, lors de sa troisième traversée de l’Atlantique, quand il ne put faire concorder ses découvertes avec les tracés du globe de Behaim, cru tout simplement qu’il avait trouvé le paradis terrestre. Après avoir maîtrisé les courants insidieux du détroit de l’Orénoque qui faillirent mener par le fond ses galions, il remonta une mer d’eau douce qu’il prit l’un des cinq fleuves sacrés prenant leurs sources au paradis terrestre avec l’Inde, le Gange, le Tigre et l’Euphrate. Colomb cru jusqu’au retour de son quatrième voyage qu’il se baladait sur les côtes de Chine et sur l’île mystérieuse de Cipango, l’ancien nom du Japon. Le navigateur fit même jurer à ses hommes d’équipage que Cuba était le début du continent indien. Colomb, nettement plus intéressé par l’ouverture de voies commerciales vers l’Orient que par la découverte de l’inconnu se découvrait là une sorte de destinée messianique. Si le Seigneur l’avait poussé jusque dans ce paradis, c’est qu’il n’était pas un hérétique. Il n’en fallait pas beaucoup pour attiser le délire mystique d’un croyant du seizième siècle perdu à l’autre bout du globe. Il n’est pas de découverte dans le domaine du savoir et de la connaissance qui ne soit pas imprégnée de peur et de folie. La peur de l’inconnu qui pousse l’homme à saisir la localisation de nouveaux territoires, d’en imaginer les contours et les habitants, nécessairement monstrueux, mystérieux et belliqueux, comme par une forme de rationalisme qui pousserait au développement d’une imagerie fantastique. Et la folie qui pousse des êtres à sortir des conventions, des hommes qui ne prétendront au titre d’aventurier que lorsque leur découverte sera acceptée par l’establishment au terme de longs et douloureux débats.
De l’antiquité jusqu’à l’aube de la Renaissance, en suivant les cartes de Ptolémée ou de Marco Polo, les hommes étaient persuadés qu’au sud de l’équateur, rien ne pouvait vivre d’autre que des monstres. Le sud du continent africain se nommait alors, pour les Européens, les Terres Brûlés, où nul n’était censé pouvoir survivre mis à part des aliénés ayant pactisé avec des bêtes infernales ou un démon opportuniste. La terreur qu’évoquaient ces contrées était telle que même l’imagination n’osait s’y aventurer, aucun bestiaire ne s’avançait à établir un inventaire de ce territoire. J’imagine le tremblement fiévreux qui devait prendre la main de celui qui allait poser, de par sa plume, les mots de “Terra Incognita” sur la carte. À l’Est, les Indes, et plus généralement l’Orient, figuraient d’étranges mondes peuplés de  monstres fantastiques, d’horribles bêtes et de mutants, des Pygmées ne vivant que huit ans et mettant trois ans à enfanter, des macriobiens en guerre contre les griffons, des lions ailés, des acéphales aux yeux dans les épaules. Que la Terre soit plate, ou sphérique (ce que les savants de l’antiquité savaient déjà - tirant leur savoir d’une miraculeuse intuition ou d’une ancienne connaissance à jamais perdue), cela ne résolvait aucun mystère, mise à part la certitude de pouvoir s’aventurer dans les terres inconnues sans risquer de tomber dans le vide ou dans une autre dimension.
La même idée de constitution d’un bestiaire cosmique résidait dans l’imaginaire collectif à l’aune de l’exploration spatiale. La seconde guerre mondiale avait poussé la civilisation à repousser une nouvelle frontière et investir le ciel, l’espace, les satellites, les télescopes, les théories d’Einstein et d’Hubble sur l’Espace et le Temps ouvraient l’esprit humain à de nouvelles conjectures. En est témoin la littérature dite de science-fiction imaginant sur Mars, sur Venus et bien plus loin encore la trace de créatures effrayantes et de cultures exotiques. Les scénarios, dans leur ensemble, relataient l’imminence d’une catastrophe, comme si deux guerres mondiales, autant de bombes atomiques, et un génocide n’étaient qu'un avant-goût prophétique du futur. Mais nous ne pouvons pas leur donner tort, la première colonie espagnole établie par des hommes de Colomb échoués sur les bords d'Hispaniola (l’actuelle Haïti et République dominicaine) se termina dans un bain de sang. La première cohabitation entre les deux mondes dans un petit fortin baptisé “Nativité” annonçait la suite de la conquête des Amériques, du sang, des lames, du feu, des flammes. Comme quoi le bestiaire n’était pas à chercher dans les forêts sauvages mais dans les esprits des hommes livrés à la fureur de la découverte et de l’inconnu.

Trouver de nouveaux mondes ne demande pas des moyens exceptionnels, il faut toutefois être en mesure les imaginer, pour ensuite les cartographier à la lumière de l’imaginaire. Il faut parfois persévérer dans l'erreur, comme l’avait fait Colomb qui s’obstinait à dessiner les cartes de l’Orient sur le territoire des Amériques. Ces mondes inconnus, aujourd’hui, quels sont-ils ? Où sont-ils ? Juste devant nos yeux, sans doute, dans le vide des atomes, dans les étranges connexions de nos cerveaux, dans l’inconcevable marche en avant du temps ? Quels genres d’abominations pourrait-on imaginer dans des temporalités parallèles ou concurrentes ? Si le temps existe, qu’en est-il d’un monde évoluant dans un anti-temps ? Autant de questions qui me donnent des frissons dans le dos. L’homme de la rue croit que nous autres, scientifiques, avons découvert tout ce qu’il y avait d’important à découvrir dans l’univers et que notre travail se limite à mettre la lumière sur quelques zones d’ombre réfractaires. Sauf que les échelles de temps et de dimensions auxquelles nous faisons face ne parlent pas à l’homme moyen, trop occupé à concentrer ses fantasmes et ses peurs sur l’écologie, la biotechnologie, la robotique ; pendant ce temps, nous avançons dans l’infiniment grand et l’infiniment petit, dans un univers à n dimensions, comme des chasseurs s’aventurant dans les sombres forêts du Moyen Âge, prêt à voir bondir un démon derrière chaque tronc d’arbre. Si nos contemporains comprenaient la véritable nature des zones que nous explorons, leur vulgarité congénitale se transformerait en terreur, juste un instant, le temps de réduire ces paradoxes stupéfiants en jeux d’esprits triviaux, usant du processus mental qu’ils maîtrisent le mieux, à savoir la dissonance cognitive.

Source : Extraits du carnet de notes du Professeur Kane



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