dimanche 20 décembre 2015

Les célébrations routières de Jars Balldame



S'attacher à ne présenter une exposition que si elle dégénère en émeute, et ne présenter que des œuvres susceptibles de donner des envies de destruction au public.
Tel était l'ancien mot d'ordre de Jars Balldame. Ne lui dites plus qu'il est un artiste. Il se considère davantage comme un prêtre. Non pas qu'il revendique le statut de gourou de l'Art Contemporain© mais il s'est engagé depuis des années dans ce que son galeriste et les critiques s'accordent à classer sous l'appellation voie de garage. Quant à ses contempteurs, ils tiennent son accident pour la cause d'un profond dysfonctionnement cérébral. Ancien street artist côté sur Artprice, il a renoncé à pratiquer son art après un accident de voiture qui faillit lui coûter la vie. 
Échappé comme par miracle de son Aston Martin DB5 transformé en boîte à conserve, il est retombé sur l'un de ces monuments folkloriques qui bornent les routes de l'occident motorisé. Il ne s'agissait que d'une croix en bois mal dégrossie accompagnée de portraits du défunt et d'un bouquet de fleur défraîchi. Jars avait pris la chose pour lui, se croyant mort après avoir été éjecté du véhicule. Comme il l'avait lu dans nombre de textes sacrés l'âme restait trois jours sur Terre avant de rejoindre le Ciel. De toute évidence la petite installation était un témoignage de sa famille et de ses amis. Il ne se reconnaissait pas sur les photos. Ce n'était qu'un détail.
Jars Balldame était revenu à la vie avec une certitude : Dans notre civilisation automobile, aveuglés que nous sommes par la vitesse et la technologie, nous n'avons pas compris que les routes étaient des temples, et les bords de route autant de lieux de célébration dédiés à une manifestation moderne du sacré. Les morts y sont honorés d'une manière toute particulière : il ne viendrait à personne l'idée de déposer une gerbe de fleurs dans un service de soins palliatifs ou de planter une croix dans la chambre d'un mort et pourtant les bords de route accueillent ces autels - micro-lieux de culte singuliers - sortis du sol de manière anonyme et anarchique.
Jars Balldame s'était fait une spécialité dans la réalisation de ce type d'ouvrages à la mémoire des morts de la route. Une légende tenace voulait qu'il épluche les rubriques fait-divers de la presse locale pour devancer les familles sur les lieux et y installer un mémorial, sans jamais signer son ouvrage. 
Voir dans son art l'action celle d'un prêtre psychopompe tenait d'un goût prononcé pour le sensationnel. D'un point de vue du conducteur lambda, il était plus juste de le considérer comme un simple prieur, ouvrier anonyme dans la tradition des peintres d'icônes orthodoxes.

La Secte des Dysfonctionnels

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