Vision atomique / Désintégration des contours / Musiques drone
Nous
avons été trop habitués à « voir » des surfaces et des contours.
Inconsciemment, nous discrétisons le flux continu du réel (live stream de stimuli) que nous percevons en objets et
délimitations. Nous apposons ce modèle séculaire, à la fois initiateur et
rejeton du langage (chose <=> mot), sur notre environnement a priori vierge, dans son essence
atomique, d’une telle multitude d’eccéités. Ce phénomène restreint notre
perception du réel ou, du moins, il y limite l’expression de possibles,
d’angles de vue atypiques, de sensations jamais ressenties.
Le
mutantisme propose de désenclaver notre façon d’appréhender notre
environnement. Pour abolir les lignes et les contours qui circonscrivent les
choses, il est possible de les penser tout d’abord comme des interfaces où
entrent en contact le milieu/matériau 1 de l’objet avec le milieu/matériau 2
qui l’entoure (ex. : l’air). Puis d’opérer un zoom conceptuel, de
considérer cette interface au travers des lentilles grossissantes qui
permettraient de la voir au niveau microscopique, sub-moléculaire, et de la
voir alors comme une zone où les atomes du milieu/matériau 1 côtoient ceux du
milieu/matériau 2, dans un niveau d’imbrication tel qu’il n’est plus
possible de définir une quelconque délimitation, sinon de distinguer seulement
un gradient de densité atomique. Une fois cette désintégration des contours
acquise, dé-zoomer jusqu’au niveau de perception originel et reconsidérer alors
l’environnement et le voir désormais comme un flux continu d’atomes.
La gymnastique mentale proposée ici (qui n’est pas moins qu’un prototype de machine) demeure assez difficile à mettre en œuvre en l’absence d’une technologie adaptée (cela pourrait être une version alternative de la fameuse camérachine). Elle est toutefois envisageable dans le cadre d’un exercice de méditation (en utilisant ou non des psychotropes), avec l’écoute préconisée d’une musique drone, type de musique dans laquelle les sonorités classiques rendues par les instruments sont étirées, mélangées avec d’autres au point qu’il n’est plus possible de distinguer l’origine et la fin d’un son particulier ni d’affirmer avec certitude de quel instrument provient la nappe sonore en cours d’écoute. Cette musique drone est bel et bien un équivalent, dans la sphère musicale, du processus de désintégration des contours proposé précédemment. D’un point de vue purement musical d’ailleurs, la musique drone permet d’accéder à des sensations équivalentes (plaisir ressenti à l’écoute d’une mélodie par exemple) à celles que procure la musique pratiquée avec des instruments utilisés de façon plus conventionnelle : en ce sens, cette musique autorise la pratique de l’art musical (pratique + génération de sensations/plaisir d’écoute) sans la possession des capacités techniques nécessaires à la pratique conventionnelle des instruments et outils sonores utilisés. Cela n’en fait pas une sous-musique, ou bien une musique pour piètres interprètes, mais a contrario il s’agit d’une branche de la musique délibérément recentrée sur la matière première, le son, et libérée de tout carcan technologique et de toute notion de virtuosité. Il est également de bon aloi d’ajouter ici qu’en se « recentrant » sur le son brut, la musique drone permet ainsi l’atteinte d’états de conscience singuliers[1], de transes, auxquels il n’est pas donné (ou très difficile) d’accéder par le biais des musiques traditionnelles[2].
Dé-modélisation du réel / Injection
mutantiste interstitielle
Le
mutantisme ne renie pas les enseignements de la physique. Il en fait même un
terreau privilégié de son imaginaire. En revanche, le mutantisme appelle à
prendre conscience que ce que nous « expliquons » des phénomènes
physiques qui nous entourent n’est pas la conformation de ces derniers avec des
lois transcendantes et immuables, mais seulement la convergence de notre
compréhension (traduite en termes de modèles physiques, perfectibles et
non-holistes) de ces phénomènes avec leur manifestation à notre échelle modeste.
Cette prise de conscience réalisée, une fois établi ce rapport plus sain avec
le monde qui nous entoure, il est alors possible d’imaginer concevoir des modèles
physiques alternatifs (qui iraient du modèle déterministe hyper-localisé au
modèle stochastique à grande échelle). Le mutantisme est curieux et empirique.
Il invite à l’injection de paradigmes mutantistes dans les zones du réel
propices à l’émergence de possibles-jamais-vus. En incitant à la
réinterprétation de nos perceptions à l’aune de physiques alternatives, le
mutantisme espère favoriser l’émancipation de singularités sensorielles.
Bonus : Ré-échantillonnage
des contextes (Nyquist-Shannon rules !)
En
chantre de la multiplicité (voir ce
module dans le MM1.1), le mutantisme fait bien évidemment front contre les
tentatives de polarisation de la pensée et de réduction manichéenne des faits
et contextes, modus operandi[4]
très largement répandus dans le champ médiatique et dans celui, connexe, des
réseaux sociaux, puis, par infusion, dans l’opinion publique[5].
En effet, une intense polarisation de la pensée opère dès lors que doivent être
explicités des contextes politiques, sociaux et culturels. Ainsi, la plupart du
temps, la complexité première de ces contextes se retrouve
gommée, voire réduite à néant, certains enjeux potentiels sont d’emblée désamorcés
et l’essentiel des panels de forces en présence se voit éludé. Du fait de ces
simplifications et vulgarisations à l’aune de subjectivités inacceptables, la description du réel n’est plus conforme.
En d’autres termes, le théorème d’échantillonnage de Nyquist-Shannon, qui stipule que la représentation discrète d’un signal par des échantillons exige une fréquence d’échantillonnage au moins
supérieure au double de la fréquence maximale présente dans le signal échantillonné,
n’est plus respecté.
Le
mutantisme prône une restitution du réel conforme avec les préconisations
physiques de Nyquist-Shannon. Nos cerveaux n’ont pas à rougir des bande-passantes
énormes qu’offrent désormais les réseaux numériques de communication. Le
mutantisme revendique une utilisation à leurs justes capacités de nos
ressources cérébrales, une prise en compte exhaustive des multiples variables
(faits, acteurs, opinions, etc.) qui constituent un contexte devant être
analysé.
[1] On citera, à titre d’exemple, 2 projets ayant affiché leur volonté
délibérée de permettre à l’auditeur d’accéder à des états de conscience
altérés : Time Machines (qui ne sont autres que Coil) avec leur album
éponyme et Giles Corey avec Deconstructionist
.
[2] On n’inclura pas dans ce lot dit de « musiques
traditionnelles », les musiques tribales et autres pratiques musicales
dérivées utilisant la rythmique pour une accession à la transe
(électro-minimale, motorik, etc.).
[3]
Par « existant », on
entend notre croyance fermement entée comme quoi il n’existe qu’une seule
physique à même de décrire les phénomènes naturels, une physique qui fait
office d’indiscutable vérité, voire de transcendance malsaine. Pour peu que
l’on s’intéresse aux récentes évolutions de la physique fondamentale, il est
possible de constater que la compréhension humaine de certains phénomènes
physiques (à des micro- ou macro-échelles) nécessite désormais de s’aventurer
au-delà des marges des modèles classiques. Aussi, de nouvelles théories et de
nouveaux modèles s’échafaudent dans ces nouvelles directions. Des modèles
souvent en concurrence pour décrire le même phénomène. Des modèles qui, à
rebours, peuvent être en mesure de décrire correctement
notre réalité courante, et donc de compléter, voire de se substituer, aux
modèles de physique classique.
[4] Cf. le prêt-à-penser médiatique déjà dénoncé en exergue de ce module.
[5] Encore que ce concept doit être
manipulé avec précaution, car, paradoxalement, son thermomètre, bien souvent
déréglé, n’est autre que les médias.
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