mercredi 4 septembre 2013

Connaître la fuite qu'est son propre corps [Mathias Richard oldies - 6]

Connaître la fuite qu'est son propre corps

Comme un diamant mal taillé cette musique n'est pas exempte d'aspects grossiers, mais elle recèle des blocs de noirceur d'une pureté et d'une intensité que l'on ne retrouve pas dans des pierres plus finement travaillées.

Je pense vraiment que la musique est puissante. Seulement beaucoup ne peuvent pas l'entendre car ce qu'ils connaissent n'en est que le versant édulcoré, neutralisé, par une sorte de magie blanche. Ils n'osent pas goûter le goût de la vie. Ils n'osent pas, car même les musiques faibles font obscurément sentir qu'autre chose est possible, un tube du top 50 peut laisser entrevoir l’existence de vertiges et de transes dont personne ne parle, ne pas aller voir plus loin c'est ne pas vouloir vivre, il faut se glisser dans l'interstice d’une musique pour découvrir sa tête et son corps, et le monde. Rien de mieux qu'une musique pour apprendre à méconnaître le corps fabriqué par les autres, et connaître la fuite qu'est son propre corps, le bourgeonnement des corps et les bouillonnements qui peuvent les traverser. La musique fait rêver le corps de sortir de lui-même, et il saute, et il saute pour sortir de lui-même, et il chancelle, pris de tournis, et il reprend son souffle, et saute, et il resaute et trébuche et sort vraiment de lui-même et s'abandonne à une danse folle sortie d'elle-même. Quand je dis « la musique est vraiment puissante » je veux répondre à l’avance à l’objection que telle musique ne serait puissante que parce que je le voudrais bien, parce que j’aurais le désir de quelque chose qui soit puissant et important, et que plutôt que faire l'éloge d'une religion ou d’un sport risqué, j'eus choisi la musique par commodité. Or je n'ai rien choisi et il me semble que la musique est beaucoup plus profonde que la religion, et que la religion n’est jamais si forte que portée et manipulée par la musique.



[2001, élément de texte non inclus dans la version finale du texte "Hocico" in Musiques de la révolte maudite]

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