1 / Entrez dans un supermarché quelconque / Posez un paquet de chewing-gums sur une caisse, sur un tapis roulant / Attendre que le tapis roule, et que la caissière s'en empare / Introduire alors une pensée morale dans un chewing-gum / Soumettre le chewing-gum à la pensée, en faire une hostie personnelle / Type de pensée morale dans le chewing-gum : mettre en relation l'exercice de la vertu et l'énergie mécanique, s'interroger sur la falsification de vos états mentaux induite par les machines et sur la possibilité du geste artistique / Il faut que le lecteur de code-barres lise le code-barre en question – ou bien que la caissière saisisse les chiffres sur une petite machine / Payez les chewing-gums – rachetez la marchandise / Sortez du supermarché / Mâchez le chewing-gum jusqu'à être pénétré du sentiment moral / Jusqu'à ce que ce sentiment moral fasse naître un autre sentiment moral - concevez par exemple l'éventualité de la poésie, la possibilité d'une conformation de vos états mentaux avec le monde /
2 / Contemplez la devanture du supermarché / Les caddies doivent rouler, et les enfants crier / Attendre peut être que les caddies glissent, et que les enfants se fassent remarquer / Observez l'angoisse dans les petits nuages et les filaments qu'ils traînent / Attendez l'ondée passagère, attendez qu'il pleuve - observez les pigeons s'effrayer de cette angoisse qui leur tombe dessus, et comprenez de quelle manière les métaphores sont des machines / Introduire maintenant une pensée obscène dans un pigeon / Le faire fuir / Photographier l'envol du pigeon, et s'interroger sur la fausseté possible de cet envol / Type de pensée obscène : ne pas impliquer le pigeon, mais dans votre effort, se concentrer toutefois sur la texture des plumes – à ce moment un rayon de soleil doit se refléter dans la forme anthracite, et venir mourir jusque sur votre objectif. Doit mourir aussi le caractère mécanique, animal, du désir sexuel, dans votre pensée / Malgré l'envol, la photo doit souligner avec netteté les traits du pigeon effrayé, sa faiblesse, sa finitude, et l'achèvement d'une certaine forme de peur. Jamais ni un oiseau, ni la littérature n'avaient été saisis par tant de doute /
3 / Jetez votre chewing-gum dans une poubelle / Attendez la benne à ordures - qu'on ramasse les ordures, qu'elles soient broyées / Considérez alors le fait que la machine est une métaphore - métaphore de la magie / Observez les pigeons et leur instinct d'automate, observez-les suivre le camion, et picorer l'asphalte, dans son sillage / La nuit qui tombe / Laissez-vous mieux pénétrer par le monde à présent, le monde des machines – doit se dessiner alors sur votre peau une pensée que vous n'avez pas / Type de pensée artificielle sur votre corps : aucunes des pensées qui trouvent réellement en vous un refuge, aucuns des sentiments, aucunes des images qui vous traversent vraiment / La machine doit extraire de vous une forme d'art qui vous est étrangère / Tendez alors vos mains vers l'extérieur - ces mots qui vous sont étrangers sont maintenant gravés sur votre peau /
4 / Éprouvez à présent une forme de tendresse pour cet art que vous n'êtes pas, qui est à peine de l'art, ces signes qui vous définissent de manière illusoire / Observez votre corps / Et abandonnez maintenant cette fausse peau qui vous constitue, qui semble former votre identité / Observez votre corps / L'hypnose et la magie des machines ont fini par vous laisser un goût un peu fade dans la bouche / Dénudez-vous encore, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de vous / Placez-vous au-delà même de la foi – cette machine, cette énorme tractopelle qui déplace les montagnes – et comprenez aussi que vous n'êtes rien mais que tout vous est donné, et que tout vous est permis, de l'infini, de l'amour / Votre corps doit s'enfoncer dans la nuit, et les machines doivent se mettre à veiller et vous devez entendre quelques grésillements, comme des insectes / Sentez à présent toutes les pellicules et toutes les chrysalides se liquéfier
[Créateur machine : Gabriel Azais]
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