mercredi 30 décembre 2015

ULTRAVORTEX SAISON 3 Épisode 2 : Une seconde avant la peste



ULTRAVORTEX SAISON 3
Épisode 2
Une seconde avant la peste

Le couple fêtait leur anniversaire de mariage dans un restaurant à la carte Fusion Food. Madame Kane découvrait les saveurs d’un risotto de Saint-jaques, fenouil et poireaux. Monsieur Kane restait lui aussi sur une valeur sûre, salade au saumon fumé assaisonnée d’épices non identifiées, le tout arrosé de vin blanc d’Afrique du sud.
Les histoires de bureau de sa femme, les rivalités informulés entre collègues, les conflits larvés avec les différentes strates de direction n’avaient aucune prise sur lui. La femme voyait bien que son mari ne l’écoutait pas, ce qui ne l’empêchait pas d’aller jusqu’au bout de son speech comme si elle cherchait à se vider d’une mémoire vive par trop saturée.
Leur entente avait toujours surpris leurs amis. Des amis qui se faisaient de plus en plus rares au fil des années. Ce n’était ni le fric ni le sexe qui tenait le couple. Les deux n’avaient presque rien en commun. À presque cinquante ans, et avec sa tête qui lui tombait entre les épaules, Yuri Kane faisait figure d’adolescent mal dans sa peau à côté de cette ancienne championne d’arts martiaux. Il n’était pas difficile de savoir qui portait la culotte dans le foyer.
Une passion peu commune les avait réunie. Ils avaient constitué au fil des ans une imposante collection de bonsaïs. Une des plus importantes de France, pour des amateurs, et leur réputation courrait jusqu’au Japon. Ayant grandi dans une famille de maraîchers, Madame Kane appuyait son approche intuitive des cycles de la nature sur les connaissances encyclopédiques de son mari. Yuri abordait la géométrie de la taille et l’entretien de ces arbres cultivés en pot avec une rigueur scientifique pendant que sa femme faisait preuve d’une créativité débridée dans le respect des règles de l’art.
Depuis les évènements, au retour du travail, Yuri s’attaquait à sa collection de single malt et de blended malt. En ce jour de fête, la bouteille de Monkey Shoulder n’avait pas résisté aux assauts. Il avait liquidé la dernière moitié du flacon à coup de doubles doses et commençait à bien sentir les effets de l’alcool. Ce qui lui permit d’accueillir avec sérénité l’incompétence de la serveuse qui venait de lui renverser un café brûlant sur les cuisses.
De retour du restaurant, il se servit une rasade de Caol ila Distillers Edition, pour bien finir la soirée et se cramer la tête en beauté. La télévision diffusait un programme de téléréalité avec des citadins lâchés en pleine nature sans argent ni smartphone. Un Koh Lanta au cœur du bocage normand. Le chien avait l’air de se régaler du spectacle. Le monstre régnait sur le canapé en cuir et n’avait aucune intention de partager son territoire. Yuri n'avait aucune envie de provoquer l'animal, il s'assit sur le sol pour faire le point sur son niveau d’estime personnel. Il n’était même pas capable de tenir tête à ce bâtard qui ne ressemblait à aucun croisement répertorié, alors comment aurait-il pu réussir à se faire respecter de ses enfants ?
À cette heure tardive, son fils devait probablement se zombifier devant un écran, s’il habitait encore ici. Quant à ses filles, il fallait miser sur la chance pour croiser l’une d’elles, entre deux sorties dans les boutiques ou chez les copines.
La maison faisait vaguement office d’hôtel et le chef de famille avait progressivement endossé le rôle de majordome. Le chien aboyait désormais sur Camélia, la bimbo-porno du programme. Elle faisait du stop les seins nus sur le bord d’une route de campagne dans l’espoir qu’un autochtone la téléporte hors de cette réalité.
Dans ses rêves les plus fous, Yuri se prenait à imaginer le meilleur moyen de liquider sa famille pour vider la maison de ses meubles et de tout son luxe superflu, avant de finir sa vie en prison, muré dans l’ascèse la plus radicale.
Les journalistes feraient de lui une star. Dans les reportages sur les faits-divers et les tueurs en série, on commencerait par le montrer sous son meilleur visage, à l’aide d’un diaporama de photos de famille. On verrait le Professeur sourire à contre-cœur, l’air engoncé dans un costume trois pièces, sourire gêné, esquissant quelques pas de danses maladroits avec les convives d’une communion ou d’un mariage.
On lui trouverait bien un loisir anodin, quelque chose d’autre que cette passion un peu bizarre qu’il partageait avec sa femme. Il aimait bien marcher les soirs d’été autour du lac. Voilà une belle carte postale pour un père modèle. Traveling le long du plan d’eau pendant l’interview de l’Officier de Police Judiciaire chargé de l’enquête.
Caméra à l’épaule, le journaliste interrogerait des voisins planqués derrière leur fenêtre, le visage camouflé par des pots de géraniums. Le voisin d’en face témoignerait de son comportement en demi-teinte, sur la réserve dont le Professeur faisait preuve en toutes occasions.
« Il ne parlait pas beaucoup, vous savez, mais comme il travaillait au Centre, on se disait qu’il n’avait pas le droit d’en dire trop. Le pire c’est pour les enfants. Pardonnez-moi l’expression, mais le fils nous emmerdait bien le week-end avec son quad, mais c’était pas un mauvais bougre, non, ils ne méritaient pas ça... ». Les voisins ne commencent à vous apprécier qu’à partir du moment où ils se savent débarrassés de votre présence pour toujours.
Dans un décor forestier, avec le Centre en arrière-plan, le journaliste poserait alors la question qui tue - le ton grave - de savoir pourquoi cet homme avait pété les plombs en assassinant sa famille à l’arme blanche. Qu’était-il passé par la tête de ce scientifique d’envergure internationale pour qu’il en arrive à bazarder les cadavres de sa femme et de ses trois enfants dans un ravin ? Nous allons vous raconter le récit de cette descente aux enfers avant de passer au témoignage du Professeur Yuri Kane que nos équipes ont pu rencontrer dans le quartier Haute Sécurité de la prison de Fleury-Mérogis.
Et sans attendre une page de publicité !
L’état de catatonie dans lequel était plongé Professeur l’aurait empêché de mener à bien le moindre de ses fantasmes. La seule fois où il s’était aventuré à utiliser un couteau de cuisine, la course du poulet rôti s’était achevée sur le carrelage de la cuisine dans une garniture de bris de verre. L’histoire s'était finie aux urgences avec cinq points de suture dans la paume de la main et un tendon sectionné.  
Il pourrait toujours essayer de surprendre son fils avec une pioche pendant une partie de Call of Duty. La difficulté serait d’avancer dans la chambre sans se prendre les pieds dans un tas de fringues sales et se retrouver enseveli sous une architecture abstraite tirant ses origines du chaos ambiant.
Pour exploser le crâne de ses filles, il attendrait leur retour de discothèque. Complètement alcoolisées, elles rigoleraient comme des dindes en voyant leur père lever un marteau de coffreur dans les airs. Mais encore faudrait-il qu’elles n’aient pas l’idée de ramener cette nuit là un douchebag dans leur lit. Yuri ne s’étonnait plus de croiser l’un de ces spécimens de posthumain dans sa maison. Pas plus tard que ce week-end, c’était un culturiste peroxidé qui pratiquait des exercices de musculation sur le tapis du salon, vêtu d’un slip orange fluo, avec le dernier album de Daft Punk à plein volume. Le pauvre garçon devait être complètement drogué et se croyait sans doute sur une plage d’Ibiza.
Sa femme serait un plus gros morceau. La teigne avait la tête dure et risquerait de le casser en deux avec une prise de karaté. Elle lui aurait arraché le bras avant qu’il n’ait l’intention de l’attaquer et lui récurerait l'œsophage avec la cime d’un Juniperus rigida jusqu’à ce qu’il comprenne la leçon.
Il avait souvenir d’un reportage à la télé dans lequel un journaliste avait réussi à commander des flingues et de la drogue sur internet avec un système de réseau crypté et de monnaie virtuelle. À bien y réfléchir, il risquerait de se faire pigeonner et de tomber sur une arme en plastique, ou tuerait par mégarde un randonneur en s’entraînant sur des cibles dans la forêt.
Sa malchance était proverbiale. Surtout avec les bagnoles. Simuler une sortie de route serait surtout l’occasion pour lui de provoquer un véritable accident et de rester coincé dans la voiture au fond du ravin. Il mourrait de soif entouré des cadavres pourrissant de sa famille.
La dernière option serait d’empoisonner tout le monde, les gosses, la femme, les bonsaïs. Et les voisins tant qu’on y est. Voilà une idée de scientifique. Il prendrait son pied à concocter la potion magique, mais il faudrait toujours se débarrasser des corps. En les coulants dans l’étang par exemple. Autant dire qu’il serait plus pratique de prier pour qu’une catastrophe naturelle ravage la région.
Sur la route menant au Centre, il s’imaginait un monstre tout droit sorti d’une des grottes qui parcouraient la forêt. Un gigantesque reptile vengeur venu des profondeurs de la Terre et des âges pulvériserait toute trace de civilisation sur son Royaume. Les voitures seraient attrapées comme des jouets et lancées sur la zone commerciale façon Godzilla. Et booooom l’Hyper Carrefour ! Et booooom le Bricorama ! Et booooom le Norauto !
Retournement de situation : Le reptile géant crierait de rage en découvrant que les humains préfèrent se ruer au Conforama pour voler des canapés et des écrans plats plutôt que de s’enfuir de la ville comme le faisaient les villageois d’autrefois. Alors, une comète géante aussi grande qu’un département français s'abattrait juste sur le capot de la voiture de Yuri pour clore cette incursion du fantastique dans la réalité.
Rien de spectaculaire pour le moment, sauf que l’unique route desservant le Centre était bouchée. Les voitures serpentaient à l’arrêt le long de la petite côte qui donnait sur le parking sécurisé. Certaines commençaient à opérer des demi-tours sur les bas-côtés en suivant les ordres de la Sécurité. Un incendie avait dû obliger les autorités à fermer le Centre, se disait Yuri.
Comme il ne voyait pas de fumée s’échapper du toit, il pensa tout de suite à une catastrophe biologique. Un virus devait déjà se répandre dans la région. La peste s’occuperait de liquider sa famille sans qu’il ne mouille la chemise. Comme quoi, il y avait toujours de l’espoir. L’ironie de l’histoire serait que son indifférence l’immunise contre toute contamination et qu’il finisse seul sur Terre.


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mardi 29 décembre 2015

Sortie de V.I.T.R.I.Ø.L. en version numérique


Le livre V.I.T.R.I.Ø.L. d'Arnaud Pelletier sort en version numérique chez Caméras Animales.

Toutes les infos sont ici :



"Il faut écrire un livre. Sur le sexe, sur l'amour, sur la mort, sur le texte, sur le sacré. Ça a la forme d'un diamant à cinq faces, parfaitement noir. Ça s'appelle V.I.T.R.I.Ø.L., c'est votre premier requiem, c'est ce livre."


Arnaud Pelletier

mercredi 23 décembre 2015

ULTRAVORTEX SAISON 3 Épisode 1 : Un univers court-circuité



ULTRAVORTEX SAISON 3
Épisode 1
Un univers court-circuité

Le ballet des voitures sur le parking du Centre de recherche annonçait la fin d’une nouvelle journée de non-travail. Le Professeur pouvait quitter les lieux sans se préoccuper du rangement. Son bureau ressemblait à un appartement témoin après le passage d’un décorateur d’intérieur porté sur une version hard core du Feng Shui.
Rien ne subsistait de l’ancien aménagement de la pièce, hormis une table et une chaise sur laquelle il passait l’essentiel de ses journées à fixer un mur blanchi par le soleil. Des empreintes rectangulaires parsemaient la surface des cloisons, vestiges de posters, plans, schémas et calendriers d’une époque où il avait encore de quoi s’occuper.
Il se demandait combien de temps encore la direction du Centre accepterait de le laisser entrer dans la zone. Face aux gardes du parking, au moment de franchir le tourniquet du hall d’entrée et devant chaque porte blindée réclamant un scan corporel, il espérait secrètement se voir refuser l’accès. Ce serait alors l’occasion de provoquer un mini scandale, comme l’aurait fait tout employé mis face à ce genre de situation. La Sécurité aurait fait profil bas devant le Directeur de l’unité expérimentale de recherche génétique et le Professeur Yuri kane aurait fini par se calmer en promettant aux vigiles qu’ils auraient de ses nouvelles. Il rentrerait sagement chez lui, à l’instar de ses collaborateurs directs qui ne prenaient même plus la peine de se rendre au laboratoire.
Yuri se demandait combien de temps il continuerait à faire illusion parmi ses confrères qui persistent à tarir d’éloges sur la qualité de ses publications dont il ne connaissait pas la teneur. Le restaurant du Centre était un lieu qu’il évitait par-dessus tout. La vision du mot “restaurant” sur les panneaux de signalétique provoquait en lui une terreur sourde. Une décharge de drogue métabolique stoppait le cours de ses pensées à la simple vue de ces dix lettres.
De quoi parlerait-il avec ses confrères ?
La traversée des couloirs était l’occasion de mettre en pratique une diversité de stratégies d’évitement. Il fallait choisir les bons horaires, anticiper les rencontres, en marquant de courtes pauses dans un local de maintenance dont l'austérité n’avait rien à envier à l’agencement de son bureau.
Prendre l’ascenseur était exclu. Passer par l’escalier lui permettait de faire un peu d'exercice et de ne croiser aucun des scientifiques qui prétendaient échanger des informations avec son équipe au sujet de ces fameux programmes de recherche dont il n’avait jamais vu la couleur.
Comment aurait-il pu entendre parler de cela puisqu’il n’avait pas touché un ordinateur ou une boîte de pétri depuis des mois ?
Yuri se demandait combien de jours il lui restait avant qu’un technicien ne détache la plaque au nom du Professeur Kane sur la porte du bureau pour la remplacer par une mention “Salle des archives” ou “Animalerie - Confinement”.
Les salaires continuaient à tomber chaque mois. Sa femme ne s’apercevait de rien. Elle avait épousé un scientifique il y a maintenant vingt-cinq ans et avait dû se faire à l’idée que cette espèce d'hommes vivait sur une autre planète que la nôtre.

Extrait du carnet de notes du Professeur Kane

Chaque jour, j’avançais d’un pas dans mon grand projet : faire le vide était devenu une priorité de tous les instants. Les premières victimes furent les boîtes inutiles, les objets de décoration et ces bouts de papier cartonnés que l’on s’obstine à garder en dépit de toute logique, fétichisme insidieux pour bureaucrate angoissé. Marquer le temps. Marquer l’espace. Marquer la possibilité de l'existence de mondes possibles par une sorte de flottement d’une contingence diffuse. S’en libérer pour se convaincre qu’atteindre un point de non saturation est le fait d’une nécessité supérieure. Il n’y a aucune inspiration à tirer de ces reliques, pas plus que de ces piles de revues que je n’aurais jamais le temps ni le courage de lire. Tout ranger - tout compresser - serait terme plus approprié - dans des armoires : classeurs, fiches, fournitures, matériel informatique. Des boîtes dans des boîtes dans des boîtes jusqu’à ce qu’on ne puisse plus en ouvrir une sans se retrouver enseveli sous une avalanche de boîtes. Des employés de la maintenance réquisitionnés pour l’occasion m’avaient débarrassé du superflu sans se poser de question. La fuite des armoires ouvrait de nouvelles perspectives. Tout était devenu possible, enfin. Je méditais face à mon bureau réduit à sa plus simple expression : une table avec pour seule décoration une sorte de boule de cristal. Et ce tas de feuilles blanches accompagnées d’un stylo bille attendaient comme moi une quelconque révélation. Faire le vide pour recevoir une illumination échappée des profondeurs de l’atome. La bulle de cristal roulait sur la surface granuleuse. Elle n’épousait qu’une infime proportion de la surface. À un niveau microscopique, l’on pouvait même prouver que les deux surfaces ne se touchaient pas. Elle surfait sur la matière tout autant que nous naviguons dans l'espace sans aucun contrôle sur le temps. Des secrets, elle en avait vu, elle se plaisait ici bien avant mon installation, et je me plaisais tout autant à la faire tourner dans mes doigts pour contempler une version renversée de mon univers. L’ombre verte de la forêt m’interpellait au travers de la vitre et de la bulle. Peut-être devrais-je installer des plantes dans ce bureau ? Une plante verte, dans une grande bulle, pour répondre aux questions de ma boule de cristal. Dans une telle bulle, et avec des conditions de lumière et de températures stables, il était possible de recréer une biosphère. Un scientifique l’avait déjà prouvé en enfermant une plante dans une jarre hermétique et en l'oubliant pendant cinquante ou soixante ans dans un coin de son salon. La plante y avait recréé son propre écosystème sans besoin que l’on ne renouvelle l’air, l’eau ou le substrat. À défaut d’arrêter le temps, le temps s’est mis en boucle. L’éternité ne serait alors qu’une suite de cycles, de spirales en circuits fermés se renouvelant à l’infini. Réduit à sa plus simple expression, un système solaire pourrait tout autant se concentrer dans une bulle, dans une expérience bien plus excitante qu’un simple jardin miniature : toute la matière d’un système solaire exploitée, concassée, triée, reconfigurée, pour construire une sphère de Dyson autour de son soleil, captant l’intégralité de son énergie dans une biosphère artificielle. Si l’on suivait les directives de Ray Bradbury, en superposant les sphères de Dyson comme autant de poupées russes, il nous serait possible d'aboutir à la création d'un Cerveau mécanique d’une capacité de calcul sans égale. La surface de l’Etoile-Cerveau prendrait l’allure d’un immense terrain de jeux aux réalités et aux temporalités connexes et conjointes. Je m’imagine posant le premier pas à la surface du Nouveau Monde, à la recherche de nouveaux mystères de la physique et de nouvelles machines intelligentes, découvrant de nouvelles temporalités, pourchassant des monstres tapis dans les recoins les plus sombres du temps, conquistador de no man’s lands virtuels. Depuis mon grand bureau vide, je rêve que l’on m’expédie à l’autre bout de la voie lactée pour me charger d’une telle mission, chef d'un Empire de robots et de machines savantes. Je ne crains ni la mort ni la souffrance. Je ne crains même pas la réaction de mes contemporains. Je ne crains que le temps qui passe.



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Veille mutantiste 151223


La véritable mutation, c'est cette submersion des données numériques dans laquelle nous sommes plongés, les traces numériques que nous laissons, l'activité économique qui va être bouleversée. (1) Jusqu’ici, des interventions humaines étaient nécessaires pour dresser des listes de synonymes et effectuer des connexions entre des thématiques similaires. Le problème est que Google traite actuellement trois milliards de requêtes par jour et que parmi celles-ci 15% sont de nouvelles requêtes jamais effectuées auparavant, ce qui représente tout de même 450 millions de nouvelles requêtes. (2) Les robots logiciels pèsent à eux seuls 25 % de toutes les contributions de Wikipedia France. (3) La SNCF teste par exemple un logiciel d’analyse comportementale qui pourrait être intégré à ses 40 000 caméras de surveillance (...) Il est fondé «sur le changement de température corporelle, le haussement de la voix ou le caractère saccadé de gestes qui peuvent montrer une certaine anxiété» (4) Cette étude a permis de mettre à jour 36 indicateurs (localisation, usage du téléphone, régularité, diversité des contacts, activité des utilisateurs, par exemple le temps mis à répondre à un texto…) capables de prédire le résultat du test BFI de n’importe quel abonné. Le modèle est relativement fiable, par exemple, il est capable à partir des données de mobilité de prédire votre score d’extraversion d'une manière assez fidèle… Cela signifie qu’à partir d’un profil d’usage de votre téléphone, pris comme une simple ligne de chiffres dans une énorme base de données où chacun paraît protégé par la masse, on peut en déduire vos caractéristiques psychologiques… c’est-à-dire des choses qui n’ont rien à voir avec l’usage de votre mobile a priori. (5)


dimanche 20 décembre 2015

Les célébrations routières de Jars Balldame



S'attacher à ne présenter une exposition que si elle dégénère en émeute, et ne présenter que des œuvres susceptibles de donner des envies de destruction au public.
Tel était l'ancien mot d'ordre de Jars Balldame. Ne lui dites plus qu'il est un artiste. Il se considère davantage comme un prêtre. Non pas qu'il revendique le statut de gourou de l'Art Contemporain© mais il s'est engagé depuis des années dans ce que son galeriste et les critiques s'accordent à classer sous l'appellation voie de garage. Quant à ses contempteurs, ils tiennent son accident pour la cause d'un profond dysfonctionnement cérébral. Ancien street artist côté sur Artprice, il a renoncé à pratiquer son art après un accident de voiture qui faillit lui coûter la vie. 
Échappé comme par miracle de son Aston Martin DB5 transformé en boîte à conserve, il est retombé sur l'un de ces monuments folkloriques qui bornent les routes de l'occident motorisé. Il ne s'agissait que d'une croix en bois mal dégrossie accompagnée de portraits du défunt et d'un bouquet de fleur défraîchi. Jars avait pris la chose pour lui, se croyant mort après avoir été éjecté du véhicule. Comme il l'avait lu dans nombre de textes sacrés l'âme restait trois jours sur Terre avant de rejoindre le Ciel. De toute évidence la petite installation était un témoignage de sa famille et de ses amis. Il ne se reconnaissait pas sur les photos. Ce n'était qu'un détail.
Jars Balldame était revenu à la vie avec une certitude : Dans notre civilisation automobile, aveuglés que nous sommes par la vitesse et la technologie, nous n'avons pas compris que les routes étaient des temples, et les bords de route autant de lieux de célébration dédiés à une manifestation moderne du sacré. Les morts y sont honorés d'une manière toute particulière : il ne viendrait à personne l'idée de déposer une gerbe de fleurs dans un service de soins palliatifs ou de planter une croix dans la chambre d'un mort et pourtant les bords de route accueillent ces autels - micro-lieux de culte singuliers - sortis du sol de manière anonyme et anarchique.
Jars Balldame s'était fait une spécialité dans la réalisation de ce type d'ouvrages à la mémoire des morts de la route. Une légende tenace voulait qu'il épluche les rubriques fait-divers de la presse locale pour devancer les familles sur les lieux et y installer un mémorial, sans jamais signer son ouvrage. 
Voir dans son art l'action celle d'un prêtre psychopompe tenait d'un goût prononcé pour le sensationnel. D'un point de vue du conducteur lambda, il était plus juste de le considérer comme un simple prieur, ouvrier anonyme dans la tradition des peintres d'icônes orthodoxes.

La Secte des Dysfonctionnels

Je suis feignant, mais exigeant. Mathias Richard

Je suis feignant, mais exigeant. Je suis exigeant, mais perdu. Je suis perdu, mais obstiné. Je suis obstiné, mais plein de doutes. Je suis plein de doutes, mais convaincu. Je suis convaincu, mais perdu. Je suis perdu, mais joyeux. Je suis joyeux, mais taraudé. Je suis taraudé, mais tranquille. Je suis tranquille, mais intranquille. Je suis intranquille, mais décidé. Je suis décidé, mais m'interroge. Je m'interroge, mais je sais. Je sais, que je ne sais pas. Et je passe, et pars. Et je pars, tout en restant. Et je reste, dans mes pensées. Et je pense, qu'il ne faudrait pas penser. Et je ne pense à rien, et je suis bien. Tout en me disant, que c'est impossible. Et c'est impossible, de continuer. Et ça continue, en s'arrêtant tout le temps. Et tout le temps, il se passe des choses. Et les choses, elles s'accumulent, elles débordent. Et ça déborde, tu les compresses. Et tu les compresses, avec folie. Et tu es fou, mais très organisé. Et l'abandon, est une recherche. Et tu cherches, à ne plus chercher ; à ne plus penser, à ne plus être. Tu cherches, alors que tu as déjà trouvé, plusieurs fois. Mais, la vie continue. Alors, il y a des variations, des combinaisons, inattendues. Inattendues mais qui se passent toujours quand le temps passe donc c'est un peu, prévisible. Cela fait tellement longtemps, que tu prévois. Que tu prévois, en te trompant toujours. Et en te trompant toujours, tu es quand même vivant. Tu es vivant, et c'est compliqué. On pourrait dire aussi, que c'est simple, que ta structure, n'est pas adaptée, à la simplicité. Alors, tu crées des structures, artificielles, pour te guider, te comporter. Et un jour t'en as marre, et tu détruis tout. Et tu reconstruis, et tu redétruis. Et tu reconstruis, et tu redétruis. Et tu sors et tu parles et tu marches, tu cherches, et tu te heurtes ; tu te heurtes, et tu te déformes. Et tu ressembles à une sculpture, bizarre. Qui a des angles, étranges.





Vidéo par Nora Neko et Charlotte Phan
Extraite du spectacle "Boucles et misères"


Ce texte a été traduit vers l'arabe par la poétesse Ghada Laghzaoui, et publié en divers endroits le 10 décembre 2015 dont ici :


Il a été lu à la radio, lors de l'émission "Dataplex / Free Poetry" (Radio Galère, Marseille), le 15 décembre 2015.









samedi 19 décembre 2015

Welcome to the machine


Welcome my son 
Welcome to the machine 
Where have you been? 
It's alright we know where you've been

vendredi 18 décembre 2015

ULTRAVORTEX (PLUGIN 01) La peste


ULTRAVORTEX (plugin 01)
La peste

[...]
18
traque sans résultat
et désormais seul
RICKY parti avec strict nécessaire. m’a fait don du reste
convaincu de trouver la frontière. et y survivre
situation clarifiée
ici bas:
aucun journaliste. militaire. humanitaire. ou entité apparentée à un expert. un spécialiste. ou un sauveur
là-bas:
la terreur doit les empêcher de pointer un objectif dans notre direction.
UN seul oeil se pose encore sur notre trajectoire. celui d’un dieu
OU d’un satellite. prêt à guider une ogive nucléaire

19
changement de planque / RAS / marche toute la journée. sans encombres. calme. toujours

20
hélicoptère quadrille secteur sud. inventaire ? décompte ?
inventaire réserves : OK
inventaire enquête : aucune trace du médecin depuis J+12 . trois possibilités
se cache : effectue prélèvements avec extrême prudence. sait être recherché
job terminé : n’est plus dans la zone
mort : doit retrouver son attirail
il est vivant. dois l’écrire pour m’en convaincre. intuition autant qu’obligation. sinon ma présence n’a plus aucun sens.
cette pensée m’occupe. en boucle
reprendre traque demain au point du jour

21
encore loin de saisir la situation. réagi comme s’il y avait toujours un rapporteur. comme dans une réalité montée. diffusée par des spécialistes
dernier flic est un ermite
dernier toubib est un boucher
rideau levé. seul. nu
prendre conscience que dernier enquêteur = dernier chroniqueur
de quoi ?
chercher tient en vie. écrire. garder en mémoire. déchiffrer. tout mon temps pour réfléchir. trop vite. pas assez pour l’écrire
pourquoi rester ?
frontière = balle dans le crane
alors réécrire. expliquer ?
non
ils ont tous des réponses
ont oublié la question
monceaux de chair. en putréfaction. cobayes
seulement ? ou emprise du malin. sur l’esprit humain. sans limite. toujours repoussée
connaissance ou vérité n’est d’aucune utilité DIEU a déserté. la peste prend place nette. le monde cherche raison sur absence de justice
ne s’agit que de rendre compte
ouvrir les yeux et survivre
faire de ma chair. une boîte noire. et prier
pour que les données soient transmises. à qui de droit
en temps voulu

26
cette ville n’est plus. ne sera plus. quartiers pittoresques. port. stade. plages. subsiste un pli. un trou. sur la carte
trop grande. trop calme. trop malade. trop infecté. stérile
perdu le fil
arpenter bord de mer. face à la ville. moins de fumée à l’horizon. plus d’essence. réservoirs siphonnés. plus une goutte de carburant pour creuser fosses communes. livres pour allumer bûchers
ville morte. continent suivra
en une seule vague
ni désinfection. ni reconstruction. ILS ne veulent rien savoir
ce carnet. aucune utilité. tâche impossible. sillonner. quadriller. tous quartiers. établir plans. recommencer. errer au milieu de ruines sans piste
suis un homme seul. déserté. labyrinthe sans sortie
ne reste aucun chirurgien pour autopsier victimes
monde définitivement mort. reste à rédiger un dernier rapport
une épitaphe
avant d’être emporté
ressasse cette histoire depuis trois jours. repris toutes les pistes. revu toutes les hypothèses formulées. relu toutes les notes
ECHEC

29
dernier spectateur
moi. enquêteur sans but
moi. flic châtieur sans justice
un homme violait un cadavre. abattu
aussi simplement : balle dans le crâne.
attendu le juste moment de sa jouissance pour tirer
non pas que la situation implique jugement ou sanction.
n’est pas le premier nécrophile croisé :
ville réclame coup de théâtre
non un flic pour remettre ordre
un agent de la destruction. plus violent que le malin. prenant de cours. amplifiant spectacle. condamner chemins. refermer rideau
diabolus ex machina
hors du temps. sans loi. ni ordre
créateur réclame expérimentateur
chaos cherche destructeur
se passe certaines choses ici. ne doivent pas être conter. ni compter. seulement détruites
peste n’est pas châtiment. ni punition divine
mais son absence manifeste
monde refuse de mourir. de guérir. jeu du démon est renouvellement. valeur. empilement de nombres. cadavres. souffrances. aucun rachat. le diable offre la liberté de tester les limites
grandeur nature
carte blanche

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A l’avenir tâchez de prendre soin de votre peau et de votre carnet. Ce dernier contient de précieuses réponses.
Vous tenez par ces quelques lignes la preuve de mon existence. Je n’ai rien d’autre à vous confier. Sauf deux questions.
Qu’attendez-vous de moi ?
Une traque est-elle le meilleur moyen d’obtenir vos réponses ?
Laissez un message en évidence, ici même, si vous vous sentez capable de répondre sans détours à ces deux questions. Sans me tuer. Cessez de me pister. Je sais qui vous êtes, où vous êtes et comment vous échapper.

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hier encore. ai cherché à vous abattre. réfléchissais à un plan. vous tuer comme ceux qui m’ont fait perdre ce carnet. la seule issue reste de vous le confier. à votre charge de rédiger le dernier rapport.

IDENTITE : KANE YURI
DDN : 21/12/1979
PROFESSION : Inspecteur. (Cela vous étonne ? Mais vous même, êtes vous vraiment un flic ? )
CHRONOLOGIE : La raison de mon internement sont mes visions, qui ne m’auraient portées aucun préjudice si je n’avais pas harcelé les sites d’informations, les journalistes, les hommes politiques, jusqu’à ce que je sois enfermé après avoir menacé le premier ministre sur sa page facebook.
Je me suis évadé au début des événements, quand le personnel médical fût réquisitionné.
Si nous sommes encore là. C’est que l’exode a laissé une quantité importante de vivres. Bien que l’odeur soit insupportable, qu’il n’y ai pas d’eau courante, ni d’électricité, la survie est possible.
Si nous sommes encore vivant c’est que nous ne nous sommes pas encore résolus à nous laisser posséder.
Cette ville était déjà morte bien avant que tout cela ne débute.
On trouverait bien quelques virus ou bactérie dans ces corps mais ce n’est pas la cause.
Ainsi ils n’ont largué aucune caisse de vaccin ou d’antibiotiques. Encore moins d’eau, de vivres, de chaux, d’essence, ou d’armes... Ils pourraient tirer à vue, envoyer des commandos de reconnaissance, nous atomiser.  Bref, ils se contentent d’observer. Ils analysent. Ils attendent.
Il n’y a pas pas d’épidémie.
La substance des choses elle même est en jeu. C’est là où il frappe. Dans la chair qui a perdue toute valeur par son accumulation dans les rues. Elle porte les stigmates. Dès qu’il a pris possession de l’esprit, l'âme ne lui est plus d’aucune utilité. Quand bien même elle n’aurait pas déjà quitté le corps.
Alors celui que vous nommer le démon écrit dans la chair, pour s'infiltrer dans le réel et prouver l’évidence de son existence. Ensuite, il n’est plus, et doit recommencer, sans arrêt.
A croire qu’il y soit contraint, qu’il s’agisse pour lui de survie, du dernier endroit où se réfugier, traqué par une force plus forte que lui. Considérons là qu’il s’agisse là de notre seul espoir.
J’ai voulu confirmer mes visions. Il m’aurait fallu disséquer un corps encore vivant pour savoir.  
Mais je n’ai pas pu m’y résoudre.
PS. Puisque que vous aviez l’air d’y tenir, et que vous êtes un tueur, je vous fais don de l’ensemble de mon matériel de chirurgie, dans le sac attenant. Pourvu que vous sachiez en faire usage et trouver vos réponses.
Lorsque vous lirez ces lignes j’aurai quitté la zone.

nu.
à l’abri.
stylo. carnet. bistouri. scotch.
continuons à monologuer entre morts. moi et vous. cher “chirurgien”
continue à croire qu’une issue est possible. à condition d’abandonner tout espoir d’expliquer ce monde par des mots.
si vous n’étiez parti. je vous aurai fait don de ma chair. la marque. une étoile. marbrure. mouvante. sous la peau. la couleur. la forme. changeante. active mais non vivante.
en votre honneur. je vais trancher.
quelque soit la réponse.

il ne reste plus rien à dire.



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