mercredi 4 septembre 2013

[1.2 – alpha-test] DU SYNTEXTE

DU SYNTEXTE*

Le nombre d’œuvres sur Terre augmente si vite que tout regard 
d'ensemble devient de plus en plus ardu, voire impossible.

Pour traverser le bruit de l’époque la littérature est obligée de se constituer en blocs toujours plus fous, concentrés, directs ou incompréhensibles, tortueux, imparables, irréductibles, textes blocs de combat avec des points d’attaque et de défense. 


Absorption / Tamis / Synthèse / Capture / Recueillement

J'ai une pensée qui saute ; elle sort tout le temps de ses rails, contre mon gré.
Après on appelle ça rêverie, distraction, manque d'attention, coupage de parole, coq à l'âme...
Mais, avec l'âge, il devient de plus en plus clair que je n'ai aucun contrôle dessus.
Mais que c'est ça, "ma-pensée", qui me contrôle.
Et que je ne peux arriver à réfléchir à rien sans constamment changer de sujet.

Jetée au centre fourmillant de masses vivantes, l'étroite fenêtre de la conscience. 
Malgré l'étroitesse de cette fenêtre... j'expérimente un trop-plein de sensations et perceptions à filtrer (du mal à métaboliser des perceptions trop riches), comme un filtre mal réglé laissé "ouvert", trop réceptif, face à ce qui entoure.
C'est pourquoi je reste si souvent enfermé. Si le filtre à impressions sensorielles ne fonctionne pas bien, il est difficile d'exister proprement en tant qu’être humain - engorgement d'information, ça n'a pas de fin. Les gens et les pensées sont alors des vagues qui rongent et corrodent.

Recevoir : - toutes les influences :: - toutes les pensées :: - toutes les idées :: - tous les sentiments.

J'absorbe la parole, les paroles, de tous ; j'en fais un magma que je distille.

Suis une fenêtre, une caméra autonome, j'espionne tout, et détourne toutes les images et tous les langages.

Ce n'est pas moi, "Mathias", qui exprime ces mots, c'est le monde entier.
C'est le monde qui me produit. C'est le monde qui produit cet écrit.
Je ne suis qu'un médium, un moyen du monde pour s'exprimer.
Par "monde", j'entends les humains, la nature, la Terre.

La littérature est une machine qui t'espionne tous les jours, 24 heures sur 24.
Je n'écris pas, je copie. Ma bouche ne veut pas parler.
Aller percevoir les idées directement là où elles sont stockées dans la nature. Un millier de nos pensées disparaissent à chaque heure pour être remplacées par un millier d'autres, toutes neuves. Faire la synthèse de tout ce qui entoure, gens, villes, films, livres... Sous l'influence de tout - forcés de naître de tout. Dévorer, absorber, accumuler, amalgamer les consciences, et les souvenirs de celles-ci. Juxtaposition aléatoire de tous les concepts afin de briser les gangues. La réalité est une surimpression en embranchement de toutes les choses possibles. 

Internet aspire les cerveaux et la vie. En retour, aspirer le Web. Extraire l'information des immenses bases de données, le patrimoine mental de l'humanité. Sucer le Web jusqu'à ce qu'il éjacule ses infos les plus précieuses. Le texte synthétique serait impossible sans les logiciels de traitement de texte (réplications, coupes, déplacements, modifications, réorganisations, permutations très rapides) et les flux d'information internet.
Activées 24h sur 24, des oreilles abyssales faites d'ordis enregistrent tout, le moindre écho. Des pluies de données se déversent en masse dans nos intérieurs. Toutes les réalités commencent à se réunir dans le même espace, profilant un point d'implosion.
Tout l'art du veilleur est de distinguer le bruit de fond des signaux authentiques.

J'ai vu des images, des millions. La plupart étaient floues, incompréhensibles, mais d'autres étaient claires. Au fil du temps, les pièces se sont assemblées, et j'ai été capable de former une base de compréhension. Tous les jours, nous sommes bombardés de pseudo-réalités manufacturées, créées par des personnes sophistiquées usant de moyens sophistiqués. Fourmillement de processus de limitation sociaux, physiques, intellectuels. Toutes les informations nous mélangent. Plus rien ne correspond à rien.
Le chasseur, le veilleur, est un radar à idées, expressions, formes. Une machine à ré-injecter des idées dans le monde. Face à la radicale augmentation de l'information, afin de distinguer bruit de fond des signaux authentiques, notre cerveau doit augmenter radicalement sa sélectivité, il doit augmenter sa capacité de synthèse et filtrage de données. D'abord filtre ouverture maximale ; puis filtre intellectuel ; puis filtre transe furieuse.



Assemblage

Assembler des phrases : quand deux ondes se rencontrent, les creux ou les bosses qui se rencontrent se renforcent mutuellement, amplifiant l'onde. On parle alors d'interférence constructive. Le sens circule d'une figure à l'autre, faisant demi-tour au sein d'un ensemble complexe d'opérations, pratiquant des renversements. La structure change à tout moment, il faut constamment trouver quel est le nouveau chemin à emprunter. Ne jamais prendre une chose comme acquise, normale ; réfléchir à toutes ses réorganisations possibles.
C'est l'époque de la Recombinaison. Internet débouche sur des capacités cognitives différentes. Capter les informations comme une éponge. Absorber le moindre évènement intéressant rencontré, pour construire de nouvelles cartes de causalité ou en modifier d'anciennes. Je vois des systèmes, des constructions. Tout est démontable et remontable d'une autre manière. Des segments aléatoires de code, regroupés, forment des protocoles imprévus. Cette machine ne fonctionne qu'en se détraquant - ré-agençant les rapports entre les énoncés - la première fois que ça a marché, c'était dans un cimetière (les morts parlent beaucoup). Notre cerveau modifie la réalité en permanence pour que le monde soit synchronisé.

Frottements des mécanismes, géométries, connexions, échanges. Je m'intéresse aux phrases pour elles-mêmes, de toutes sources, selon leurs puissances, angles d'attaque, équations, singularités. Composer des ensembles de tissu animal, de matériaux polymères et d'électronique sophistiquée. Ensemencer des tubes de plastique biodégradables avec des cellules de muscles lisses issus d'aortes de cadavres. Mélanger organes, végétaux, mécanismes, lettres... Relier, tisser, coudre toutes choses ensemble : air, insectes, bruits, regards, lumières... Rapprocher médecine, acoustique, pornographie, astronautique. Condenser des rayons solaires, des fibres nerveuses et des spermatozoïdes : un fœtus dans une méduse. Mélanger des bouts de reptiles, de mammifères et d'oiseaux pour aboutir à un animal mosaïque.



Conclusion

Un syntexte est une manière de traiter les millions de fragments d'informations qui nous environnent.
Il représente un point où la littérature s'effondre infiniment sur elle-même.
Les syntextes sont des fichiers compressés de données. Ces données peuvent servir à 1/ la contemplation esthétique, 2/ à vivre une expérience, 3/ à l'augmentation du savoir, de la compréhension. Le travail poétique est un chemin qui peut nous mener à la connaissance de la réalité extérieure. 



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* Ce syntexte métasyntextuel est un complément au texte "Syntexte [syn-t.ext]" présent dans le Manifeste mutantiste 1.0 puis à une seconde version réécrite dans le 1.1. et enfin à une troisième version dans s y n - t . e x t (livre à paraître).

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