mardi 20 août 2013

Témoignage de la fin du monde #9 - Le gardien

J'étais au boulot, comme d'habitude, tous les jours je prends place, et je glande. Voila ma seule occupation. Pour me distraire ils m’ont mis devant une grande baie vitrée. Je travaille dans une boutique - ou plus précisément : j’effectue des taches, attablé devant un ordinateur, sur un bureau qui, faute de place, est situé dans un espace boutique, lequel ressemble à un entrepôt. Le dit entrepôt est habillé d’une ingénieuse signalétique colorée visant à faire croire qu’il ne s’agit pas d’un entrepôt. Des gens finissent dont par rentrer dans cette fausse-boutique vrai-entrepôt. Des gens rentrent et me demandent des renseignements. J’ai beau occulter leur présence en fixant mon écran pour leurs signifier leur non présence à mes yeux ; ils viennent quand même me demander le renseignement. Je leur réponds, plusieurs fois par jour, qu’il y a un guichet - oui le guichet devant lequel vous venez de passer - et que quelqu’un viendra vous répondre : au guichet. Certains insistent. Généralement ils parlent mal la langue ou je ne parle pas leur langue. Ils ne sont pas présentables, ils éructent, ils vomissent les mots. Je ne suis pas là pour leur donner le renseignement dont je ne connais pas la teneur. Je n’ai aucune envie de supporter leur vibration, mais parfois c’est impossible d’y échapper.

Exemple.
Un SDF vient d'entrer, il boite. Sa vibration est chaotique, ses chaussettes sont couleur caca, il sent l’urine. Que dois-je faire ?
Existe-t-il un numéro vert à appeler dans ce genre de situation ? Et maintenant c'est une vielle algérienne avec sa fille qui toc toc toc, elle veut passer un coup de téléphone, dit-elle. Quel coup de téléphone ? Ici c'est pas les PTT que je lui répond c'est un bureau. Elle comprend pas et me redemande le téléphone, elle veut téléphoner.

Téléphone, téléphone.
… Le téléphone.
Mais ici on a un téléphone - le téléphone - mais il ne sert pas pour les étrangers que je lui réponds. Du coup, elle est parti. Je voulais parler des étrangers à l'entreprise pas des étrangers étrangers, mais j'espère qu'elle ne l'a pas mal pris et qu'elle n'ira pas raconter au voisinage que je suis raciste. J'ai jamais voté Le Pen. Je suis la mauvaise personne, au mauvais endroit, avec la mauvaise information.

Alors je remets mes écouteurs : WRONG Depeche Mode

Il y a donc cette grande baie, donnant sur un boulevard. Ma fenêtre sur le monde où passe tout un tas de gens, un défilé de cas sociaux et de freaks du terroir. Post scriptum : j’habite en picardie, terre de contrastes. Le décor est celui de la fin d’un boulevard bétonné avec des HLM. Il y a aussi un petit jardin mal entretenu où pointe un rosier chétif qui retente de fleurir printemps après printemps. Je me dis que si le monde brûlait comme l'enfer ça me ferait ni chaud ni froid, si j'ose m'exprimer ainsi. Alors des fois j'imagine que le monde à travers ma fenêtre explose dans un gigantesque feu d'artifice, qu'il brûle et qu'il finisse par se consumer doucement jusqu'à ce qu'aucune particule de vie n'en survive. Quand je suis derrière ma fenêtre j'ai le sentiment d'être dans un vivarium, l'objet d'une expérience, je cherche qui joue avec nous, et j’aimerais lui dire que je suis prêt.


[txt Yuri Kane img Doubles V]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire