Boris a bien dormi cette nuit. Dimanche apparaît. Et à 7h du matin, dans son petit bout de banlieue parisienne, le soleil pointe timidement ses rayons sur le bol de café et la tartine de notre ami. Celui-ci essaye de chasser les traits de lumière de sa main, comme on fait avec des petits papillons qui vous embête quand vous déjeunez sur l’herbe. En filant la métaphore, il repense au bel après-midi qu’il a passé hier, avec Élodie. Ils se sont retrouvés à 11h du matin, sous un ciel bleu pastel. Elle avait emporté un panier d’osier avec quelques clémentines, du camembert coulant, une baguette de pain croustillante, du jambon de pays, du beurre, des cornichons, des tomates et de la mayonnaise. Lui, c’était le vin, toujours le vin. Mais – se souvient-il – il avait pris un soin particulier à le choisir, fouinant entre les bouteilles, à la recherche d’un vin blanc adapté tout en même temps à l’insuffisance de son porte-monnaie, et au galbe de la belle Élodie. Tout l’après-midi, ils avaient bus, s’étaient embrassés et avaient parlés de leur admiration pour les aventures d’Arsène Lupin.
Voilà que le café s’est glissé dans l’estomac de Boris, sans même que son propriétaire s’en aperçoive !
Mâchonnant sa tartine beurrée, il s’habille rapidement d’une chemise à manches courtes, d’un pantalon marron et de chaussures de ville noires. Le soleil l’accompagne dans son réveil, et tout se passe comme si chaque rayon se réverbérait sur chacun des mouvements de notre héros. Si bien qu’une danse s’esquisse peu à peu entre lui et l’astre jaune, jusqu’à prendre des allures de tango effréné. Boris rit, et Élodie, sereine image peuplant ses pensées depuis et pour toujours, partage son hilarité.
Tout d’un coup ! Boris s’arrête et rompt son pacte avec le soleil. L’emploi du temps de la journée est chargé, et ne doit souffrir d’aucun retard. Hop, le voilà qui met son manteau et claque la porte de son appartement ! Hop, un tour de clé, des escaliers descendus 4 à 4, un bus hélé, un RER pris !
Dans la rame où il est assis passe toujours le même clochard qui, sans fatigue, ressasse toujours le même refrain…”B’jour m’sieur m’dame…difficultés pour vivre…difficultés pour vivre…z’auriez pas une petite pièce…ou un sourire je prends de tout…À vot’bon coeur et merci m’sieur m’dame…”
Boris est un jeune homme. Et un jeune homme, ça n’a pas d’argent, mais beaucoup de coeur. C’est pourquoi Boris s’est toujours refusé de donner quoi que ce soit aux mendiants qui peuplent ses espaces publics, argumentant que, de toute façon, cela ne les aiderait pas. Mais il n’est pas contre leur offrir son sourire, ça ne coûte rien. De plus, il a lu récemment dans une enquête sociologique que les SDF perdaient totalement les plombs par l’absence de contact avec autrui. C’est décidé : ” voilà un sourire, pour vous monsieur. Prenez-le, gardez-le, il vous appartient désormais. Je n’en veux plus”.
Arrivé à la gare, notre ami parcourt des yeux les trains présents sur les voies. Il en cherche un beau, finement ouvragé, comme ceux de l’ancien temps ; si la locomotive est à vapeur, c’est une bonne chose. Le voilà qui trône sur la dernière voie et qui présente toutes les caractéristiques susdites. En avant ! c’est celui-là, et pas un autre, qu’il prendra pour aller jusqu’en Normandie. Boris embarque.
La locomotive s’ébranle majestueusement et quitte le quai avec l’aisance d’un bateau voguant vers Ithaque. Bien assis sur une banquette en cuir, les yeux dodelinant sur le paysage qui s’effile, Boris pense à Élodie et à l’incroyable surprise qu’il lui a préparée. Fier comme pas deux, au fur et à mesure que l’espace et le temps avancent, notre ami voit le paysage qui s’incline en sa présence et lui rend hommage en le mettant au centre de son horizon.
Les blanches falaises d’Etretats apparaissent.
Grandes, impressionnantes…Majestueuses…L’Aiguille creuse trône à leur côté, et Arsène Lupin est probablement caché à l’intérieur, avec les bijoux que ce gredin terriblement classe a volé et amassé, année après année. Boris frémit d’impatience, bouillonne de plaisir ! Il ne tient plus en place ! Demandant à la locomotive de s’arrêter, notre héros sort précipitamment de cette machine du diable et se précipite en courant, à travers champs, vers les falaises.
Les voilà qui arrivent !
Les voilà qui arrivent !
Parce qu’il n’a pas d’argent, mais beaucoup de coeur, Boris s’élance dans le vide au-delà des falaises, et s’écrase lourdement en bas.
(histoire extraite du projet littéraire "les histoires anéanties de Guénolé Boillot". Retrouvez plus d'histoires anéanties sur http://www.guenoleboillot.com).
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