Il a les yeux plongés dans le brasier devant lui. La nuit est noire, et l'absence d'éclairage public fait jaillir les étoiles et les satellites au-dessus de sa tête.
Une paire de phares quitte les lumières de la vallée pour s'engager dans une route en lacets menant, vers son promontoire.
Il avait été réveillé quelques heures plus tôt par un fracas fait de branches émiettées et de troncs écrasés. Un coup d'oeil endormi vers les contrebas de la falaise sur laquelle il se trouvait l'avait conforté dans sa première hypothèse : un rocher avait dévasté une bonne partie des côteaux.
Mais pourquoi ces grandes ombres, aux corps d'araignées, fuient anarchiquement de part et d'autre de la forêt ? Pourquoi les étoiles, à ce moment précis, n'éclairent plus rien ?
"Un corps qui frissonne est un corps qui a froid, Alfred. Un corps qui frissonne est un corps qui a froid. Répète-le, Alfred, répète-le !"
Cela fait maintenant deux heures qu'il se dit ça. Et le feu ne fait pas effet. D'ailleurs c'est un feu qu'il ne connait pas. D'ailleurs c'est un corps qu'il ne connait pas.
Il se lève et regarde la route en lacets qui va de la vallée jusqu'à son promontoire. Les phares montent lentement. Plus que deux tournants, et ils seront aux abords du dernier village avant les alpages.
Les restes du feu sont enfouis sous un peu de poussière. Place à l'action. Caméra, travelling arrière. Il disparait dans les fourrés.
Caméra à l'épaule. Les épines de rhododendron lui déchire le visage et les avant-bras, mais il ne s'arrête pas. Pas tout de suite, car un corps en mouvement est un corps qui vit.
"Tu entends Alfred ? Un corps en mouvement est un corps qui vit!"
Après 5 minutes à traverser les buissons et les sapins, le voilà sur le col.
Devant lui, une somptueuse vallée s'étend sous la lumière de la lune. Les montagnes sont couvertes de neiges éternelles. L'air est si pur qu'aucun cri ne porte.
Il suit le chemin de crête. Après un replat, il tombe nez à nez avec deux vautours, la tête rouge du sang d'un mouton éventré qui se trouve devant eux.
- Alfred, tu n'iras pas plus loin, commence le premier.
- Alfred, ton corps on le connaît.
- On l'a déjà mangé
"Ils ont raison, Alfred, tu le sais. Les araignées apparaissent".
Il est maintenant immobile face au vide et pense à la voiture comme à une délivrance.
Les oiseaux sont seuls, et personne ne raconte rien.
"Alfred, la réalité est morte depuis longtemps. Les araignées sont vivantes, et la mort n'est pas une délivrance".
Les phares de la voiture inondent le corps d'Alfred, tandis qu'une voix venant de l'intérieur de l'habitacle, chuchote quelques mots.
Alfred sourit, ému, comme si tout cela allait lui manquer. Et son regard s'éteint avec la nuit.
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