mardi 13 mars 2018

On a mal, mais. (Mathias Richard)

J'ai mal au dos. Aux vertèbres. À l'épaule. J'ai mal au poignet, au cou. J'ai mal au nez, à la tête, à la gorge, aux yeux. J'ai mal au cœur. Et aux bronches. J'ai mal au gros orteil droit. Et à ma cicatrice sur la hanche. J'ai mal aux amygdales, à la fesse gauche, à la jambe gauche. Une putain de côte est coincée comme un poignard. J'ai mal quand je bouge. J'ai mal quand je ne bouge pas. J'ai mal aux pensées. J'ai mal quand je me tourne, mais aussi quand je ne me tourne pas. Et toi ? T'as mal où ? T'as mal à la vessie, à l'aisselle, au coude, dans le creux du bras. T'as aussi mal au dos, et aux cervicales, un peu à la peau. T'as mal à la tête, t'as de la fièvre, des vertiges. T'as une conjonctivite, tu dors pas, t'arrives pas à marcher, ni même à réfléchir. T'as mal au sexe, au ventre, des crampes, des douleurs violentes. T'as mal quand tu travailles. Mais ça continue quand tu travailles pas. Et pourtant, on est super bien, là, tous les deux. On n'a pas mal aux lèvres. On n'a pas mal aux doigts. On n'a pas mal aux cheveux (ou presque). On n'a pas mal aux joues. On n'a pas mal aux seins. On n'a pas mal aux tétons. On n'a pas mal aux fesses. On n'a pas mal aux genoux, ni aux mollets ! On n'a pas mal à la plante des pieds. Ni au nombril. On n'a pas mal aux poils. Ni aux dents. Ni aux sourcils. Ni aux oreilles ! Et à plein plein d'autres endroits aussi. On n'est pas si mal finalement. On a mal, mais quand on est tous les deux, on a moins mal. Ta douleur me distrait de la mienne. Ma douleur te distrait de la tienne. On se distrait. On est très distraits, on s'intéresse. Aïe ! Ouille ! Mmmhhh... Temporairement, nos existences se soulagent l'une l'autre, du coup on n'arrive pas à se séparer, on reste coincés, imbriqués l'un dans l'autre pendant des jours, et quand on se lève pour manger ou pisser on marche avec quatre jambes et quatre bras. Voilà, maintenant on a un corps complet°, avec tout en double comme ça on peut jeter ce qui marche pas. Et ça, ce truc, ça baigne, ça baigne salement, ça baigne salement dans l'extase totale et enfin vraiment bête. 



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° Tu clignote de aïes comme une guirlande de Noël. La douleur se déplace, elle tourne. D'un organe à l'autre, d'une zone à l'autre. Du coup, pour se défendre, on se constitue un corps en boule pour que la douleur tourne encore plus vite, toujours plus vite, tellement vite qu'on ne la sent presque plus. Il ne faut pas chercher à la bloquer, mais à la faire circuler si vite que la douleur s'évapore, se désorbite, ne trouvant plus d'objet auquel s'agripper. 

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