dimanche 25 décembre 2016

La Bête.

Le Besoin de Partir se sent de loin, il se rapproche vite mais il est presque toujours impossible de voir à quelle distance il se trouve. Peut-être est-il tout près, en réalité, déjà contre ta peau, peut-être même la langue sortie, prête à se coller à toi et à rapper tes mains et ton visage laissés à l'air libre, avec innocence, candeur, oui peut-être est-il à deux doigts de rentrer sous nos habits, de parcourir nos dos et de remonter en coupant par le jardin pour se lover contre notre ventre, et on ne le sait pas.

On ne connait pas la distance qui nous sépare, mais on le sent : il est là. Son odeur change régulièrement, on ne peut pas dire objectivement ce qu'elle est, boisée ou sucrée, amère, tentante, mystérieuse, nouvelle, risquée ou changeante. Elle s'accommode au climat, n'est pas difficile, se fond dans la masse, rajoute sa touche ou envahit l'espace.


On sait que c'est elle parce qu'alors on pense aux cosmonautes, aux grands aventuriers, on se dit qu'ils n'avaient pas de portables avant, pas de TGV ni de covoiturage, comment ils faisaient, et l'eau courante, le matelas, faut que je pense à prendre rdv chez l'ostéopathe, putain le dentiste ça fait cinq ans au moins, tiens je vais racheter du rince-bouche là, antibactérien, le vert il sent la menthe, bon le noir c'est normal, l'usure normale des molaires, j'ai pas mal alors je vais avoir l'air bête à y aller pour rien, dépense inutile, la mutuelle est à jour, oui l'air bête, sûrement, oui. Mais qu'est-ce que je pourrais dire au conducteur ? Pourvu qu'il ne mette pas Rire et chansons.

On s'imagine lui succomber, on essaie de prévoir, planifier, on sait qu'il ne nous a pas encore sauté dessus, peut-être il se lassera, mais bon, si ce n'est pas le cas, faudra bien en faire quelque chose, l'apprivoiser ou le relâcher ailleurs, par exemple, dans son habitat naturel, lui trouver de quoi faire, pourvoir à ses besoins, parce qu'il en a, lui aussi, des besoins.
On fait des listes de choses à faire, de ce qui nous est nécessaire, on regarde les annonces, on met des choses incroyables dans des paniers virtuels mais zut, le navigateur plante : trop de fenêtres ouvertes. Bon, y a l'historique, on verra ça plus tard. Éventuellement.

Alors en attendant on essaie d'identifier son trajet, de le localiser : il se rapproche, c'est sûr, en ligne droite, puis recule, ou bien un obstacle face à lui peut-être, ou le vent qui tourne et on ne le retrouve plus, il nous a quitté et on l'oublie vite avec d'autres odeurs, des familières, des familiales, des anciennes, prégnantes, tenaces, dans lesquelles on se vautre goulument.

Mais c'était une feinte.

Et le revoilà, bim il a mis la dose, t'es obligé d'en parler, tu ne peux plus l'ignorer, il rentre dans tes poumons, les teinte à sa manière, rayée, irisée, alors tu en parles, tu prévois, on te conseille. Tu as droit à beaucoup de conseils, les gens sont contents de pouvoir te conseiller, soit parce qu'ils en ont déjà adopté un, soit parce qu'ils pensent le connaitre bien, l'animal, la Bête, pouvoir la dompter.

Toi tu écoutes.
Tu hoches la tête.
Tu crois et ne crois pas à tout ce qu'on te dit de lui, car le tien est tout jeune et fou, son caractère se façonne à peine, à travers de vieux rêves, des contes de Noël, des images sur les murs ; il se fait tendre, dur, brumeux, volatile et physique tout à la fois.
Et tu veux en savoir plus.
Alors tu bouges plus, tu le laisses venir.

Et ça il le sent.

Bim il est là.
Sa langue sort.
Tu sens son haleine, c'est plus fort, irrésistible, obscur.
Tu ne vois toujours rien mais tu en es sûr, plus de doute.
C'est lui, il est tout contre.
C'est chaud, c'est fort, et ça se colle à toi. C'est ça.
Tes vêtements frémissent.
Une petite boule sur ton ventre point.
Tu bouges.
Tout se met en place.

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