samedi 14 février 2015

ULTRAVORTEX SAISON 2 Épisode 3 : Les diagonales du fou, de Venus à la Chute


ULTRAVORTEX SAISON 2
Épisode 3
Les diagonales du fou, de Venus à la Chute


« Je ne crois pas en la psychologie, je crois aux bons coups. »
Bobby Fisher

Zacharie se présentait comme un aristocrate quelque peu fantasque. Costume framboise, talons rouges et parapluie assorti, avec un nom de famille sorti de l'Armorial général de France. Son arbre généalogique, en partie épargné par les guillotines, remontait presque aussi loin que pouvaient se souvenir les archives. Ce qui intéressait avant tout Zimmer était l’affiliation de son patronyme au registre des membres de la Société du Cercle, bien en haut de la liste, de ses lettres dorées toutes en évidences. Son élégance anachronique, très fin de siècle, et aussi décadente que pouvait l’être une région se fissurant de toutes parts, déparait dans l’ambiance blafarde du poste de Police, une interzone terne où défilaient les suspects aux histoires les plus farfelues les unes que les autres, les prédicateurs punk-chrétiens avec leurs chiens de berger, des médiums soixante-huitardes défraîchies, des pseudo-sorcières tirées de leurs fermes et des vieux garçons déguisés en ésotéristes.

Photographies de contrées désertées.
Tout ce qui ressemble de loin à Venus, d’un échangeur d’autoroute en flammes à des enfants qu'on damne.
Des hommes condamnés à partager plus de peines avec une machine qu’avec des inconnus.
Séparer les cadavres des vivants deviendra le défi du siècle en gestation.

Zimmer ne lui laissa que le temps d’éteindre son iPhone avant d’engager la discussion :
— Où étiez-vous, il y a neuf ans jours pour jour ?
Le sourire bienveillant du magicien se tendit en une ligne qui vous aurez coupé la gorge. Et pourtant, la demande de l’enquêteur n’avait rien d’une question piège. La chute de la comète, neuf ans plus tôt, s’approchait d’un « Onze Septembre » à la française. La catastrophe diffusée en direct sur toutes les télévisions du monde. Quelque soit votre nationalité, votre fuseau horaire ou votre langue maternelle, chaque habitant de la planète se souvenait précisément de son emploi du temps du vingt juin aux alentours de 8h00 (UTC/GMT +2 heures).

Dans les espaces abstraits de Hong Kong, tout comme dans les ruines médiévales d’un musée à ciel ouvert, la pression des lignes de force écrasait les hommes, les armes, les abris, encore mieux qu’une vérité. Carte postale des territoires éthériques - Au dos : la signature de considérations fantasmatoplastiques, dystoxiques et dystorgraphiques.
Mot de passe impossible.
Commentaire incorrect.
Compression illimité.
Ne jamais sentir le fond du web sous ses mains. Glissé, déposé, déplié.
L’un des suspect affiché au tableau, un dénommé Henri, persistait à écrire ses courriers électroniques avec une police de couleur bleue. Catalogué « Manque de confiance en soi ». Bon à compacter.

Une réaction étrange. Une réflexion chancelante. Une bulle de doute percée par le sens de l'à-propos du flic :
— Non, ne me dites quand même pas que vous êtes à l’origine de la Chute ?
Les deux hommes rigolèrent sans se lâcher des yeux, avec sincérité toutefois. Un rire de bon coeur. Une nécessité après les épreuves traversées.
Zacharie n’avait bien entendu rien à voir avec l’événement, l’on n’attirait pas les comètes à coup d’incantations ténébreuses et d’orgies païennes, c’était en tout cas le point de vue d’Al Zimmer. Par contre, s’il devait bien y avoir sur cette planète une poignée d’occidentaux qui ne pouvait répondre à cette question, ce drôle de témoin en faisait partie. Zimmer, cachant les fulgurances de ses réflexions derrière les vibrations d’un ordinateur au bord de la surchauffe, insista encore une fois sans recevoir la réponse escomptée. Une fantaisie de plus dans le profil du jeune homme dont le look and feel ne présentait aucune connexion avec l’idée que l’on peut se faire d’un magicien.

Quand John Wayne met quatre jours à expliquer qu'il n'est pas nécessaire de se perdre en circonvolutions hermétiques pour tracer un cercle. Une nouvelle façon d’envisager la conquête de l’univers vient de naître.
Quand un chauve refait apparaître ses cheveux à la télévision. Une nouvelle esthétique média est née. Annule et remplace des années de sérendipité. Quand fuir est un combat perdu d'avance, l’exotisme au bord de la route, aimer, souffrir, aimer souffrir, pour l'exemple, vouloir crever à deux. La caméra se poserait si près de leur chair que les scènes se chargeraient d’abstraction, amplifiée par le fond blanc en lumière surnaturelle.

Inlassable noceur, fêtard invétéré, amateur de drogues et de performances provocatrices, son casier judiciaire en était une brillante illustration : infractions aux lois sur l’usage et la détention de stupéfiants, exhibition sexuelle (auquel il préférait le terme d’atteinte aux bonnes moeurs), conduite en état d’ivresse, outrage à agent public et diffamation publique. Malgré cette étonnante liste de faits d’armes, le jeune homme se détachait du lot par un caractère des plus avenants. Il répondit par une boutade :
— Je ne peux pas vous répondre car je n’en ai aucune idée, pas plus moi que mes compagnons d’aventure.
Ce qui n’était pas complètement faux puisqu’il naviguait ce jour-là entre réalités et hallucinations, dans les profondeurs d’une forêt du Massif central, pendant neuf jours, et autant de nuits hors du temps, durant lesquels il reçu l’Initiation.

Je vis une vie de rêve *
l’image d’une tempête de sable
qui avance doucement sur le sol plat
du désert comme une montagne que personne
n’arrivera jamais
à
gravir
au sommet
une cage
propre geôlier
de ma zone
de tranquillité
joue au OUIJA
sur les lieux de l’accident
en attendant - (suite indéchiffrable - recomposition analytique impossible)

* Note de Al Zimmer : première phrase qui m’accrocha l’oeil - m’écorcha l’oeil (rectificatif) - dans le magma de feuilles pilonnées par les intempéries)

— Bon, passons aux choses sérieuses, voulez-vous ? mon temps est précieux.
— Je suis entièrement à vous.
— Vous avez du entendre, j’imagine, tous les détails de l’affaire à la télévision. Qu’en pensez-vous ? Comme ça, de but en blanc.
Zacharie tapota son coeur, pour lui signifier la présence de son téléphone.
— J’ai tout suivi. Minute par minute.
— Et ?
— Ce que je vais vous dire va peut être vous surprendre. D’une certaine manière, j’aurais aimé être à votre place.
Marquant un instant de silence sans attendre de réponse, il reprit sa petite démonstration d’un air enjôleur.
— Voyez-vous, l’une de mes grandes passions dans la vie réside dans la lecture de textes anciens, textes sacrés, récits apocryphes, phalanges aux origines discutables, et d’en analyser le sens profond, à travers les diverses strates d’interprétation.
— Le rapport avec notre affaire ?
— Il y a que ce loisir, réservé, je l’avoue, à des oisifs de mon acabit, rentiers ou bénéficiaires de prestations sociales, possède de nombreux points communs avec votre métier.
Al Zimmer sentait la fatigue le prendre au piège. Il ne voyait pas du tout où voulait en venir son interlocuteur.
— Ce loisir, disais-je, se rapproche en tout point de la conduite d’une enquête criminelle. Nous avons une scène. Des acteurs. Une temporalité. Bref, un théâtre. Nous avons des actes et des conséquences, qui nous dépassent, rentrent dans le cadre d’une causalité divine ou pour le moins cosmique. Nous avons tout, ou presque, sous les yeux et pourtant le commun des mortels se comportera comme une foule d’aveugles en face d’une théophanie, acteurs somnambules du tragique, et voila le prêtre ! Le prêtre, le barde, le sorcier, le magicien, appelez-le comme vous le voulez, mais vous ne pouvez vous empêcher de voir en lui le fou, le fou qui cherche à voir en se brûlant les yeux à l’épreuve de la vérité, il cherche à donner un sens à l’immuable, sans véritablement donner de sens à ses propres actes, cédant l’exercice de sa volonté à des forces qui le dépassent.
Zacharie s’était retenu de se lever pour théâtraliser sa réplique, il s’était contenté d’un jeu minimaliste, ouvrant grands les yeux au fil de la montée dramatique.
— Et le fou dans cette histoire, c’est qui ?
— C’est vous ! Le fou.
— Heureusement que vous avez un alibi en béton parce que je ne saurais pas quoi faire de vous dans le cas inverse. Dites-moi ce que vous pensez de tout cela, au fond ?
— Je pense que l’on cherche tous à donner du sens à l’immuable, sans véritablement comprendre l’importance de ses propres actes.
— La version décodée ?
— Le monde est une énigme cryptée, et très peu d’hommes comprennent que le décodeur vous ait fourni à la naissance, bien qu’à leur décharge, il faut avouer que la boite crânienne est fournie sans notice.

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