mardi 27 avril 2010

MARIS EN COLERE

BOB vit dans la rue depuis trois ans, à Paris. Il a quarante ans. Depuis plus de deux ans, il loge dans un squat en dessous du Pont des Arts. Il vit avec trois amis : RICHARDO, MICHEL & ANGELO.
Ce 14 juillet, comme tous les jours de l'année, BOB, RICHARDO, MICHEL & ANGELO vont s'installer vers 13H dans la rue avoisinante et se préparent à mendier pendant toute l'après-midi. Six heures durant, les trois clochards restent assis sur le bord de la rue et tendent des mains implorantes aux passants. Le soleil tombant, ils comptent leurs butins de la journée et arrivent à un total de trente euros.
Ils décident alors d'aller se payer un kebab et une bière dans le grec le plus proche. Ils errent dans les rues, et finissent par entrer dans une sandwicherie afghane. Bob commande pour les trois et ils mangent sur place, malgré les regards déplacés du gérant. BOB, RICHARDO, MICHEL & ANGELO ne font pas attention au cinq hommes qui rentrent un peu après eux. Ces derniers parlent bruyamment et avec un accent russe prononcé. Ils s'installent à côté des clochards et les apostrophent, en rigolant, dans la langue de Tolstoï. Nos trois amis font mine de ne pas entendre au premier abord, mais après cinq bonnes minutes, un des russes assis à la table d'à côté semble pris d'un accès de rage et baragouinent à ses acolytes quelques ordres. Tous se lèvent d'un seul coup, et se précipitent sur BOB, RICHARDO, MICHEL & ANGELO pour les marteler de coup de poings, et de pieds. Ils laissent les clochards la gueule ensanglantée et s'en vont en courant.

ALBERT, 14 ans, cligne des yeux lorsque sa mère, JEANNE, ouvre les rideaux. Sa chambre est remplie de jouets, et des bds trainent sur le sol. Elle lui ordonne de ranger tout ce qu'il y a par terre avant même de venir petit-déjeuner. Albert, résigné, s'exécute, la démarche alourdie par le sommeil qu'il vient à peine de quitter. Ensuite, il se lave et va dans la cuisine. Sa mère, en lui préparant son petit-déjeuner, marmonne. Elle doit aller voir un avocat aujourd'hui pour cette satanée procédure de divorce qui dure depuis trop longtemps. Albert ne peut s'empêcher d'entendre.
Elle l'accompagne ensuite à l'école en voiture, le pose rapidement devant le hall d'entrée, et lui dit « au revoir » du bout des doigts tandis que sa voiture démarre en trombe. Albert marche rapidement pour entrer. Tout le monde est déjà en cours. Il trouve sa salle, toque et entre en s'excusant auprès du professeur de son retard. Il va s'asseoir à l'arrière de la salle. Tandis qu'il installe ses affaires, un de ses camarades se retourne, une grande gueule, plutôt frimeur, et lui demande ou est passé son père. Après quelques échanges assez houleux entre les deux élèves, le professeur leur demande de se taire. Albert a juste le temps d'esquisser un regard menaçant envers son agresseur.


Dans un hall d'immeuble d'entreprise, Jeanne court vers l'ascenseur pour y entrer avant qu'il ne se referme. Elle réussit à y entrer et appuie sur le bouton du vingt septième étage. Arrivée à l'étage, elle court dans le couloir molletonné jusqu'à une porte à droite qu'elle ouvre violemment. Dans le bureau se trouve un homme d'une soixantaine d'années auquel Jeanne demande d'accélérer la procédure de divorce. Elle argumente en disant que cela dure depuis trop longtemps. Elle lui demande d'agir avec rapidité, pour que le divorce soit achevé avant que son mariage avec Miklaev. Celui-ci a lieu dans trois mois, et toute sa famille vient des Balkans pour assister à l'événement.. Le vieil avocat hoche gravement la tête.


Bob, la gueule encore ensanglantée - bien qu'on puisse apercevoir de part et d'autre de son visage, des traces d'eau – est devant le hall d'entrée de l'école d'Albert. Il oscille de droite à gauche, et se tient la tête comme si celle-ci tournait encore. Des parents sont autour de lui, tous attendent la fin des cours. Une sonnerie stridente l'annonce. Les élèves sortent par grappes.
Bob voit Albert avec ses amis, se passant de mains en mains des figurines des tortues ninjas. Bob marche vers lui rapidement. Soudain Albert le voit et esquisse une grimace de dégoût. Bob essaye de le prendre dans ses bras, mais Albert le repousse brusquement et tout ses amis s'esclaffent. Albert regarde son père d'un air dur et lui dit en riant jaune qu'il ne sera plus jamais capable de lui faire vivre des histoires de super-héros et qu'il ferait mieux de s'en aller. Puis Albert défie tous ses camarade pour un sprint : le premier qui arrive jusqu'au terrain de foot. Bob les regarde partir au loin, tandis que lui reste planté devant la sortie d'école qui peu à peu se vide de ses occupants.


La nuit tombe. Jeanne est adossé à sa voiture, à côté du terrain de foot. Elle est au téléphone, et sa voix prend de manière variable des accents implorants et coléreux. Elle parle à Miklaev, lui disant que s'il insiste, elle pourrait être chez lui, ce soir, à 23h. Albert arrive au loin. Au fur et à mesure qu'il se rapproche, sa mère s'aperçoit qu'il est couvert de boue, de la tête aux pieds, si bien qu'on ne distingue même plus son visage. Elle l'engueule violemment et lui met une claque. La réaction du garçon est d'aller se réfugier dans sa voiture. Soudainement, un orage éclate. Jeanne rentre précipitamment dans la voiture, et, sans dire un mot à son fils, démarre en trombe. Albert regarde dans la vitre arrière, d'un air pensif, et voit une silhouette détrempée, à côté du terrain de foot. Il esquisse alors une moue d'indifférence et se cloître dans le silence jusqu'à leur arrivée.

Bob, Richardo, Michel & Angelo sont assis en rond dans ce qui semble être le squat qu'ils occupent. Des candélabres rouillés leur permettent un éclairage de fortune, et trois bouteilles de rouge poisseux font office de chauffage. Bob prend la parole : il dit à ses amis, avec de grands gestes théâtrales, que les gens de leur espèce on souvent été sous-estimés, qu'il importe maintenant de montrer à la société l'étendue de leur talent. La lutte ne sera pas vaine, argumente-il, nous gagnerons de la fierté qu'on nous a souvent refusés. Richardo, Michel & Angelo agitent convulsivement leurs bouches édentées, laissant échapper un rire caverneux. Comment va t'on faire? Demandent-ils en choeur. Bob se lance dans un discours pompeux et grand-guignolesque, leur disant que la plèbe de la société résidait maintenant en ces petits voyous minables qui pullulaient dans la capitale, ces immigrés sans foi ni loi devraient être punis comme ils le méritent. Michel & Angelo s'exclamèrent que les russes qu'ils leur avaient infligés une raclée mériteraient une leçon. Tous poussent des cris bestiaux de joie et d'ivresse. Ils décident alors, comme première action, de retrouver les voyous russes de l'autre fois. Pour cela, dès le lendemain,et tôt qui plus est, ils iraient se renseigner auprès du gérant du Kebab dans lequel l'altercation avait eu lieu.


Albert est dans sa chambre, seul, et joue à la console sur son lit. Sa mère, en soutien-gorge, passe la tête dans l'entrebaillure de sa porte et lui dit qu'elle va sortir ce soi, qu'elle ne sera pas là cette nuit, et qu'elle viendra le cherche demain matin sur le trottoir devant chez eux pour le conduire à l'école. Pour dîner, Albert n'a qu'à se faire réchauffer les restes du frigo. Il hoche la tête en signe d'acquiescement, sans quitter les yeux de son écran. Elle referme alors la porte de sa chambre, puis quelques minutes plus tard, Albert entend la porte de l'appartement se claquer, des talons descendant les escaliers en grande trombe, et une voiture démarrant bruyamment.
La voiture de Jeanne passe devant un kebab, et se gare au pied d'un immeuble. Elle descend rapidement, vêtue d'une robe affriolante, et va sonner à l'interphone. Une voix russe, rugueuse et roide sort de l'appareil, demandant l'identité de la personne. Jeanne titille langoureusement le bouton de l'interphone et lui répond en des termes très affectueux. La porte de l'immeuble s'ouvre, elle rentre.

Le soleil se lève sur le Pont Neuf. Bob, Richardo, Michel & Angelo pointent le nez dehors timidement. Sans rien dans le ventre, on les voit partir faire le tour des commerçants dans le but de réclamer quelques denrées.
Vers 14H, les quatre compère décident d'aller au kebab. Dès leur arrivée, ils commandent à manger et demandent au gérant des renseignements sur les russes qui étaient venus ici dernièrement. Le vendeur, un arabe affable, leur dit qu'ils viennent à chaque fois d'un immeuble se situant à côté. Il leur dit aussi que des gens comme eux ne devraient pas s'attaquer à ces russes, car ils font probablement partie d'une sorte de mafia. Bob semble ragaillardi par les paroles de l'arabe affable. Lui et ses amis mangent rapidement puis sortent parcourir le quartier. Ils déambulent avec une assurance surprenante dans les rues. Bob voit une femme sortir d'un immeuble au loin. Il croit la reconnaître : c'est son ex-femme, Jeanne. Elle est accompagnée d'un homme d'allure sec, pourvu d'une longue barbe. Il est habillé d'un costume noir, et fume un cigare. Ils se dirigent vers une limousine noire se trouvant un peu plus bas dans la rue. Bob court vers eux, laissant ses camarades en plan.
Le voyant arriver au loin, Jeanne le reconnaît à son tour et le dit à Miklaev, qui se trouve être l'homme qui l'accompagne. Ce dernier sourit. Lorsque Bob s'arrête à côté d'eux, Jeanne lui demande ce qu'il fait là. Bob lui dit qu'il veut revoir son enfant. Elle réplique qu'il ne le considère plus comme son père désormais. A ce moment-là, Miklaev part d'un grand éclat de rire. Bob lève un poing menaçant vers lui. Tout de suite, Miklaev lui allonge une droite qui cloue Bob à terre. Jeanne et Miklaev, alors, en profite pour rentrer rapidement dans la limousine, et la voiture démarre en trombe.

Albert avale une dernière gorgée de son bol de chocolat au lait. Il finit sa tartine, range le petit-déjeuner rapidement, puis traverse l'appartement vide pour aller prendre son cartable. Il descend les marches jusqu'à la rue en traînant les pieds. Arrivé dehors, il s'assoit sur le rebord du trottoir et attend. On entend le vrombissement d'une voiture au loin. Peu à peu, le bruit se rapproche et apparaît à l'autre bout de la rue une limousine noire lancée à pleine vitesse. La voiture s'arrête, la portière s'ouvre et Jeanne apparaît, dans sa robe de la veille. Elle lui dit de monter et il s'exécute.
Le parvis devant l'école est encore noir de monde lorsque la limousine s'arrête sur le trottoir d'en face. Tout les enfants ont le regard pointé sur la portière qui s'ouvre, laissant apparaître Albert, très fier de son effet. Tout de suite, quelques gamins accourent, et commencent à discuter avec lui, en lui passant des figurines de Batman. Miklaev et Jeanne ont juste le temps de lui faire un signe de la main avant qu'Albert ne disparaisse à l'intérieur de la cour de récréation.

Bob, Richardo, Michel & Angelo sont dans le renfoncement d'une ruelle. Des bières à la main et des cadavres de bouteilles à leur pieds, leurs sujets de discussions varient de la façon dont il faut s'y prendre pour reconquérir le cœur de Jeanne et l'amour filial d'Albert, à la bonne leçon qu'il faut donner à ces gangsters russes. Le débat est endiablé, et rythmé par rots foireux et pets odorants.
A l'acmé alcoolique du débat, les quatre clochards se disent alors que la meilleure façon pour Bob de redorer son blason de père est de mater ces truands russes devant les yeux ébahis de son fils. Ils décident alors de retrouver ces truands et de les emmener jusqu'à la porte de l'école d'Albert, et de leur régler leur compte là-bas.


Miklaev, Jeanne et Albert dînent tous ensemble dans l'appartement. La nuit tombe. Miklaev et Jeanne disent à Albert qu'ils ont vus Bob, son père, aujourd'hui dans un état de déchéance assez absolu. Albert ne dit rien et se contente de les écouter. Ils continuent en disant à Albert d'être prudent quand il marchera dans la rue désormais. Pour peu que l'avocat fasse bien son travail, plus que quelques jours et le divorce est prononcé. Alors Bob aurait interdiction d'approcher Jeanne et son enfant. D'ici-là, lui disent-ils, il faut être très prudent. Albert acquiesce, sans rien dire.


Imbibés jusqu'à l'os ce soir-là, les quatre clochards décident d'aller voler la limousine du nouveau petit copain de Jeanne. Ils se faufilent lourdement jusqu'à l'immeuble ou est garé la limousine. Mais, à peine arrivés, ils font la rencontre de la bande de russes qui leur avaient fait la tête au carré. Ceux-ci les reconnaissent et commence à les courser. La bande de clochards s'enfuient et court à tire d'ailes. La course-poursuite passe devant l'immeuble ou est situé l'appartement de Jeanne. Miklaev fume une cigarette sur le balcon. Il les voit, baragouine quelques mots en russe d'une voix forte et autoritaire. La bande de gangsters s'arrêtent, surprise. Bob et ses amis s'arrêtent aussi et les regards de Miklaev et de Bob se croisent l'espace d'un instant, puis ils se sauvent en courant.

Miklaev jette sa cigarette dans le vide et quitte le balcon précipitamment. Il va voir Jeanne qui vient juste de finir de coucher son fils. Il la prend à part pour lui dire que, jusqu'à que le divorce soit prononcé, il ferait mieux de faire escorter Albert, par ses hommes. Jeanne opina de la tête sans piper mot.

Bob et ses amis viennent de rentrer dans leur squat. Ils ferment la porte derrière eux. Bob se met tout d'un coup en colère, insulte ses amis en disant qu'ils auraient du s'en douter. Le nouveau copain de Jeanne ne pouvait qu'être mêlé à cette histoire de tabassage, c'était évident. Leurs yeux étaient fermés depuis le début, mais maintenant ils voyaient la vérité. Et ça n'allait pas se passer comme ça. Tout d'abord, ils allaient retourner voler la limousine dans quelques heures, puis le lendemain, ils conduiraient la limousine jusqu'à la sortie de l'école pour pouvoir voir Albert, son fils chéri, avant qu'il ne rentre en classe le lendemain matin. Un cri sauvage de joie fit s'ébranler les fondements du squat.

La lune est à son zénith. Quatre ombres tanguent en plein milieu de la rue. Leurs ombres se reflètent sur le goudron. Bob & ses amis arrivent alors devant la limousine noire et, armés d'un pied de biche et d'un passe-partout, ils entreprennent d'ouvrir la voiture. Après ¼ d'heure, ils y arrivent. Cinq minutes après, la limousine démarre et Bob va la garer en dessous du Pont Neuf pour la nuit.

Le lendemain matin, Albert est accoudé à la table de la cuisine, il boit son chocolat au lait et mange sa tartine d'un air endormi. Dans l'embrasure de la porte apparaît Miklaev et Jeanne. Jeanne est en robe de chambre sexy et chauffe amoureusement Miklaev, qui allume une cigarette. Albert semble indifférent à ce manège. Miklaev s'approche de lui, s'agenouille à sa hauteur, le regarde dans les yeux et lui dit qu'aujourd'hui, il va le conduire à l'école en limousine, comme une vraie star. Albert acquiesce de la tête, alors Miklaev se relève et va jeter son mégot par la fenêtre. Il s'aperçoit alors que sa limousine n'est plus là. S'ensuit une grande crise de colère. Puis il se calme, décroche son téléphone et baragouine quelques mots en russe de manière hargneuse. Il s'agenouille encore devant Albert et lui dit que ses hommes vont venir le chercher et vont le conduire à l'école, et cela sera aussi impressionnant qu'une limousine. ¼ heure après, une bande de gorilles russes vient sur le trottoir d'en face. Ils grognent, baragouinent et fument des cigarettes. Miklaev et Jeanne disent à Albert de prendre son cartable et de descendre les rejoindre. Miklaev leur a donné des instructions pour qu'ils l'amène à l'école. Le petit garçon, intimidé, leur dit en revoir et va rejoindre ses pseudo-gardes du corps. Ceux-ci l'accueillent avec des manifestations bestiales de joies et la bande se met en route. La pluie commence à tomber.


La limousine est garée devant l'école. Il pleut à torrent maintenant. Bob et ses compères sont dedans et pouffent de rire comme des gamins. Une bouteille de rouge passe de main en main. Ils jettent de temps à autre des regards à l'extérieur de la voiture. Ils voient, en train de s'approcher de l'école, la bande de russes qui les avaient tabassés. Au milieu d'eux se trouve Albert avec son cartable. Bob arrache la bouteille de la main d'un de ses camarades et en boit une bonne moitié au goulot. Puis il va se placer doucement derrière le volant. Les russes, de leur côté, ont achevés de poser Albert à l'école et lui dise « au revoir » d'un signe de la main tandis que celui-ci s'engouffre dans l'école.
Bob démarre rapidement et précipite la voiture vers les russes. La première accélération en fauche quelques uns. La panique prend les autres. Albert, intrigué par le bruit derrière lui, se retourne et aperçoit la scène : une limousine noire passe et repasse sur la bande de russes en les écrasant uns à uns. Quelques uns essaye d'ouvrir les portières, mais ils se font rejeter violemment par des coups de pieds venant de l'intérieur de la voiture. Albert est muet de terreur devant le massacre qui est en train de se passer.
Bientôt plus un russe ne bouge. Des passants commencent à affluer et on entend des cris venant de l'intérieur de l'école. Tous les élèves de l'école ont la tête collé aux fenêtres. Tandis que la limousine effectue une marche arrière pour partir, Albert sort de l'école. La voiture vrombit et part au loin. Albert, détrempé, est sur la route. Il regarde la limousine partir.

Richardo, Michel & Angelo sont assis sur les sièges arrières de la limousine et le regarde par la vitre arrière. Au fur et à mesure qu'ils s'éloignent, ils n'aperçoivent plus qu'une silhouette détrempée, sous un rideau de pluie, agitant la main.

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