jeudi 19 juillet 2018

Poème-tattoo [texte théorique # I]


Yoann Sarrat
Poème-tattoo [texte théorique # I]

Ayant tatouée, sur ma cuisse gauche, une « Zone expérimentale de mon corps », délimitant un morceau de chair découpable et exploitable, emplie de quelques signes[1] qui actionneront la textualité de diverses façons (marqueurs obligatoires d’une phrase et de la construction phrastique balisée d’éléments modificateurs, étapes de l’écriture corporelle, système de signes à ré-analyser perpétuellement, système d’ouverture obligatoire vers d’autres mots et vers la néologie, etc.), un poème-tattoo va être créé, en direct, lors d’une performance[2]. Le dermographe n’utilise pas d’encre et trace des lignes de sang en interagissant avec les mots tordus. Cela fait émerger un poème dermographique qui pourra être utilisé de diverses façons dans un jeu d’échange entre la page et la chair[3].



Le sang des mots

La performance permet de créer une situation d’énonciation du texte pour toucher au « su » (la sueur, la dimension pulsionnelle) et progressivement au sang des mots, elle permet également de mêler le bruit de la machine modifiant la peau et sa surface au texte déclamé tout en intégrant les divers bruits du corps (ses borborygmes devenant des glossolalies). La sueur et le sang des mots vont se confronter à ceux du corps qui les accueille. Se met en place un dialogue entre les sécrétions corporelles qui réagissent, en direct, au texte corporalisé, s’inscrivant dans la chair. Le sang va prendre possession des mots, les faire remonter à la surface du corps. C’est une écriture corporelle toute nouvelle, multidimensionnelle, en plus de la danse et du mouvement des mains tatouant et des lèvres lisant, le spectateur lit la poésie sur le corps tordu, un nouveau spectacle, celui du texte en train de s’inscrire radicalement.

Chaque particule corporelle (un ongle, une larme, une goutte de sueur) revêt un sens (à trouver ou en évolution permanente selon les contextes, les situations). À ces signifiants « naturels » car présents en chaque corps s’ajoutent les signes et idéogrammes corporalisables. Chaque corps peut porter son propre langage confronté à celui, intrinsèque, qui existe dans l’émanation et la sécrétion naturelle. Un ongle peut devenir une parenthèse dans le texte ; une lettre peut devenir un glyphe sur la chair, intégrant de nouveaux mystères corporels, offrant plusieurs possibilités de lectures selon les états du corps ainsi que ses torsions, ses positions, ses danses : la chair de la cuisse ainsi remplie est la partition d’une nouvelle poésie à performer.  

Ainsi, la peau ne serait plus qu’une interface entre le dedans et le dehors mais entre l’humain et l’univers dont il n’est qu’une particule, un corps qui doit faire exploser son sens en réinterrogeant tout ce qui le constitue, depuis sa première larme au sortir du ventre maternel (alors couvert des sécrétions du premier monde) jusqu’à son dernier souffle sur le lit de mort (lui-même recouvert de sueur et de larmes).

Ainsi tatoué sauvagement, le texte ne sera pas figé et existera en plusieurs états : texte ensanglanté, texte à vif, texte qui pèle, texte en pleine cicatrisation, texte cicatrisé, texte en voie de disparition, texte qui disparaît, texte disparu, texte avalé par le corps […] Le texte saigne, suinte ; il coule, sécrète, est à vif, se fait recouvrir de pommade, ouvert sur de nouveaux sens à chaque nouveau processus de transformation. On peut aussi voir l’évolution du texte et son épiderme sous l’action du chaud ou du froid : qui le fait changer de couleur, s’augmente d’une chair de poule, par exemple.

À cela s’ajoutent toutes les informations (notamment génétiques) que renferme une goutte de sang, et les minéraux qu’accueille une goutte de sueur. Pour générer cette sueur, le corps se tord avant d’accueillir le texte-tattoo, dans une sorte de danse-texte-tattoo.

Avec ce poème-tattoo : se retourner contre la main qui écrit et le corps qui crée, tout en demandant à une autre main experte armée d’un dermographe de faire entrer le texte par effraction dans la chair dédiée à l’œuvre. Le texte réécrit sur la cuisse, entre improvisation et dictée (direct de l’œuvre trans-mise), mêle mots, interjections qui rappellent les onomatopées du théâtre d’Aristophane, glyphes-sang ou glyphes-tattoos, dans un espace délimité et déjà augmenté de signes avec lesquels l’ensemble doit interagir : la zone interrogative-exclamative [?!], la virgule de concaténation [ , ], le crochet expansif [ [ ]. Près de la paire de ciseaux agissant comme une porte d’entrée dans l’espace de la poésie se forme une zone découpe-conglobata, avec un millier de signes enchevêtrés jusqu’à l’illisible significatif. À cet ensemble liminaire s’ajoute l’ensemble sonore second (les bruits de la salle, les déchets sonores recyclables, les sons des corps des publics, les voix intrusives, les bruits de bouteilles de bières, les bruits de goulots suçotés, les bruits gutturaux de bière avalée, etc.) qui peut être intégré au poème dermographique d’une façon ou d’une autre.  Alors, l’improvisation-tattoo donne naissance à une poésie glossolalique qui investit la chair et des milliers de retranscriptions sont possibles selon les situations de lectures et les différents états du poème dermographique évolutif :

(Retranscription #1 le 18/04/2018 – à partir d’une photographie sombre et rouge du poème dermographique prise deux jours après la performance) :

[?! + .¥[4] + ------------------[5] + [aouch[6]] + . + 0[7] + βx[8] + Su1 + (Goutte1 profonde) + [Ô] + (Zone Conglobata)^¨/XXX+++**** + , + & à [aïe] + µ + [ + TXT (renversé) + . + ET + öö + CZ]


Le poème va donc continuellement muter selon plusieurs acceptions et dans plusieurs de ses dimensions : le texte-peau va se modifier et, probablement, disparaître, en tout cas pour ses parties les moins profondes, le poème sera continuellement réécrit, recomposé, en fonction des lectures et ses retranscriptions.

Post(inter)face 

Un des risques de la performance était de se voir renverser de la bière sur le poème-tattoo en train de se créer. J’aurais alors dû la lécher. Le texte aurait pu devenir un poème-tattoo-léché à 8.6° ou à 4.2°[9].

Juste avant la prochaine performance, je regarderai 100 weird photos sur Internet pour avoir des images bizarres en tête à transmettre en plus de mes phrases-corps tordues dans tous les sens.

Une femme emmenant son bébé pour une promenade dans une poussette résistant au gaz / Kazuo Ohno travesti en La Argentina / Des canetons utilisés comme animaux de thérapie pour les enfants / Le champignon atomique Little Boy / Marie Wigman dansant Hexentanz / une Arménienne de 106 ans gardant sa maison avec une arme automatique / un soldat partageant sa banane avec une chèvre / Une petite fille avec des jambes artificiels en 1890 / Une mère cachant son visage après la mise en vente de ses 4 enfants / Les restes fondus d'un incendie au musée de cire « Madame Tussauds » à Londres en 1930 / L'alcool déversé dans les rues pendant la Prohibition à Detroit en 1929 / Une jeune femme ayant recouvert ses bras et jambes d’antisèches / Un homme nu recouvert de paquets de jambon cru / Une dizaine d’hommes déguisés en schtroumpfs complètement ratés / Deux hommes se baignant dans des cheeseburgers / Un homme faisant du scooter avec une chèvre / Des acteurs déguisés en vieux baisant des poubelles dans le film Trash Humpers d’Harmony Korine / Une femme aux sourcils en maquillage permanent complétement raté formant deux ^ ^ […]

Ces images et leurs possibles significations pourraient également être tatouées d’une façon ou d’une autre dans la zone expérimentale, retranscrites en signes ou, parfois, dans une mise en abyme du raté-signifiant (le maquillage permanent ^ ^ qui couvre certains mots, par exemple).



[1] [    ?!    ,
[2] Réalisée au Troisième salon des Voix Mortes, organisé par Luna Beretta et Christophe Siébert le 16 février 2018, avec l’artiste-tatoueuse Claire Sinturel en free hands – technique de tracé direct sur la peau, sans modèle ni calque, au plus près du corps, de ses méandres et ses imperfections (c’est aussi une notion centrale de l’histoire de l’art liée au surréalisme, réinterrogée par la pratique du tatouage) – avec lecture dansée du poème-tattoo et musique de l’alto solo Marie Takahashi, et avec des photographies réalisées par Frédéric Sinturel.
[3] Qui, dans mon cas, et comme on me le fait souvent remarquer, sont aussi blanche l’une que l’autre.
[4] Glyphe-Tattoo1.
[5] Fil rouge reliant, notamment, les blessures ontologiques et créatrices entre elles.
[6] Les onomatopées-douleur concernent plus le public compatissant que moi-même. Ce n’est pas pour faire le malin mais je n’ai jamais ressenti de grandes douleurs lors de tatouages ou autres blessures créatrices. Cependant, cela permet d’avoir la sensation du texte et de l’écouter crier.
[7] Goutte de sueur sur le front qui coule sur la page puis glisse sur le poème-tattoo en train de se faire.
[8] Glyphe-Tattoo2.
[9] Je préfère lécher de la 8.6 mélangée à ma sueur et mon sang plutôt que de la Kronenbourg, même si évidemment cela n’a rien à voir avec le sujet. [Oui mais c’est quand même important de la préciser](oui, voilà, pour la personne renversante : bien choisir sa bière quoi).

mardi 17 juillet 2018

Je me Vegeta




Je me Vegeta. Je me Vegetarialisme. Je me phrase. Je me mets. Je me forme. Je me traverse. Je me mange. Je me répète. Je me chose. Je me rends.
Il n y a qu’une seule phrase. Je mets la lourdeur à six centimètre plus à gauche. Je forme un gouffre dans la planète. Je traverse l’herbe. Je mange de l’herbe. Je répète ce que j’avais dit vraiment. Je deviens une chose très importante. Je me rends compte.

Khalid EL Morabethi

dimanche 15 juillet 2018

Entre les portes



 J'ai cette manie de vouloir vérifier frénétiquement si les portes sont bien fermées.

Quelque fois, je passe 20 minutes à faire des allers-retours entre le portail et la porte de chez moi pour vérifier que celle-ci est bien fermée.

Il faut que je pousse violemment mon esprit hors de cette boucle d'allers et de retours pour pouvoir enfin partir.

Quand j'étais plus jeune - entre 13 et 15 ans - chaque année, pendant les 2 semaines entourant Noël, je me raclais la gorge pour essayer d'en faire sortir les glaires. Toutes les minutes, jour et nuit, sans pouvoir m'arrêter.

Au-delà de la gêne physique évidente, cela ne m'angoissait pas tant que que ça, car je savais, pour ça comme pour le reste, que tout finit un jour par s'arrêter.

dimanche 8 juillet 2018

Le travail des éditions Vermifuge


"éreintique" 
de Nikola Akileus

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"Histoires anéanties"
de Guénolé Boillot

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"Machine dans tête"
de Mathias Richard

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"La Malangue"
de Yannick Torlini