Le grand ogre me regarda d’un air penaud.
— La guerre n’aura pas lieu, Guénolé. Vous pouvez aller vous reposer. Vous avez l’air d’en avoir besoin.
Dehors, le soleil touchait à son zénith, et laissait filtrer à travers les fenêtres de son bureau des rayons se reflétant sur son armure en cuivre.
J’étais las, très las. Seul une bataille sanglante aurait pu me sortir de cet état. Pour tout dire, je l’attendais avec impatience cette guerre. C’est pourquoi sa nouvelle me fit l’effet d’un coup de massue.
Et c’était vrai : le matin même, ma femme fidèle et dévouée m’avait paré de ma plus belle chemise blanche afin qu’elle pût être teintée du sang de mes ennemis.
— Oui bah, je suis désolé, hein. Je sais, c'est pas de chance. Moi aussi, j’aurais bien aimé.
— Vous ? Vous ?! La dernière fois que nous avons combattu nos ennemis du bâtiment voisin, vous avez fui juste après la bataille pour éviter la paperasserie à envoyer aux familles des défunts, maugréai-je dans ma barbe.
Sur ces mots, le grand ogre se leva doucement de sa chaise inclinable. La lumière des néons commença à clignoter faiblement. Soudain, une violente bourrasque entra en sifflant dans la pièce, renversant tout sur son passage. Des comptes-rendus de réunion valsaient devant mes yeux hagards...
Puis son ombre envahit la pièce. Et tout ce qui était gris devint sombre. Et tout ce qui était sombre était perdu.
Je sortis en courant du bureau, et referma la porte d’un coup avant que ma vie et mon âme y fussent aspirées.
Quand je repris mes esprits, je vis mes fidèles macaques devant moi. Les pauvres... Peut-être croyaient-ils encore que j’allais pouvoir les mener au combat...
Je ne prie même pas la peine de lui répondre. L’ignorance est une bénédiction ; et peut-être pourra-t-il ne jamais se rendre compte de cette perte, et continuer à faire ses tableurs Excel avec la sérénité qui est la sienne, et dont je lui sais gré.
Depuis ce moment, je marche dans les couloirs. Je me nourris de barres chocolatées, et fais des haltes aux points d’eau, bien avant l’aube, bien avant que la faune ne vienne s’abreuver, pour être seul, enfin.
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