lundi 28 septembre 2015

Mathias Richard @ Festival Voix Vives Sète 2015 (photos)

Parvis des Halles de Sète, samedi 25 juillet
Photos : Gilles Hutchinson

Chapelle du Quartier Haut, mercredi 29 juillet
Photos : Pauline Catherinot

Rue Gambetta (avec Claire Menguy), vendredi 31 juillet
Photos : Gilles Hutchinson

Voiles Latines, samedi 1er août
Photos : Nicole Sandrin

Jardin du Château d'Eau (soirée de clôture), samedi 1er août
Photos : Eric Morere

Plus de photos ici
et 

samedi 26 septembre 2015

#999microscripts / 131 - 140



140/ J'raconte pas ma vie j'raconte ma mort par petits feux à petit peu, à force d’éjaculer par le nombril, ma conscience, un passager clandestin



139/ NDI5$DbvsNY9Et57U : le drone qui a localisé la perruque de Nana Mouskouri, seule survivante de l'accident, déjà vendue aux enchères sur EBAY



138/ Thierry Paulin appréciait les émissions de la 2 sur les tueurs domestiques et les violeurs de vieilles. Sa culture de l'innocence de l’œil.



137/ Mes vacances avec Rocco Siffredi. Ma femme était ravie. Son amant est sur les dents. Une manière comme une autre de faire jouer le compromis



136/ ZOMBIE ZUMBA - ALERTE A LA ZUMBA SUR LES CAMPINGS REGION PACA - ALI GAGA ET LES 40 VOLEURS - LE KARAOKE FATAL POUR LES NAGEURS SAUVETEURS



135 / Sur internet, un internaute sur deux est un faux. Satan666 n’était peut être qu’un faux sosie. Il inventait son histoire au fil du soufre.



134/ Un samedi parmi tant d'autres dans un été sans coup de folie. Le soleil écrasait aussi bien le samaritain que le tueur en série de série B.



133/ Justice pour Johnny Depp en grève de la faim depuis qu’un sosie lui a piqué son boulot. Tout le monde espère une solution en post production



132/ Comme dans toutes les fictions, il n’est question que de deux personnages, Dieu et le Diable, qui tous deux se distinguent par leur absence.


131/ Proktophantasmistetc..., ce monstre avec un nom à particule et à rallonge - Son potentiel de destruction était prévisible dès la naissance.


vendredi 18 septembre 2015

DEFLAGRATION





Tu entends des voix. Peut-être. Des flashs bleus. Oranges. Stroboscopes. Tu ne sais pas ce qui est réel. Mais tu as froid.
La réalité sous vide, acide, c'est
ta
peau
EN GROS PLAN -

Tu tremblerais si tu pouvais.

B r u i t  b l a n c.

→ la réalité, c’est : donne-moi deux minutes pour te parler d'un truc :
→ la réalité c'est ta face appuyée contre terre, la mâchoire ouverte sur l'angle du trottoir mouillé, ta peau cramée, à vif, l'oreille sanglante dans le caniveau rouillé,
→ la réalité tu vois, c'est le judas dans lequel tu regardes les autres brûler,
→ la réalité tu vois, ce sont les projections, tes éclats barbituriques dans la fumée mécanique des usines,
→ la réalité, c’est qu’on t’a porté et que t’as réussi à appuyer dans l’ombre sur ton portable,
→ la réalité c'est l'anthrax dans la cité anthracite, le ciel plombé,
→ la réalité, c’est juste des applaudissements enregistrés, des morts samplés,
→ la réalité, c’est un Ouija avec le tangible potentiel,
→ la réalité d'une vodka-redbull à dix euros,
→ la réalité des terminaux et des coachs DRH,
→ la réalité des réseaux en perpétuelle reconfiguration, extensibles, nano-drones dans la mégalopole,
→ la réalité monoxyde des torchères-miradors,
→ la réalité d'une pression coupée à la flotte antibiotique,
→ la réalité de la mousse pesticide face nord,
→ la réalité des bases de données dans le Pacifique, méta-logiciels nucléaires et pluies grêles data,
→ la réalité, c’est : votre compte est débiteur, veuillez contacter votre banque,
→ la réalité du trait coupé que tu sniffes en speed juste avant de bouger,
→ la réalité des petites rides urgentes sur ta peau, interstices où glisser une puce RFID,
→ la réalité du fond du monde saignant, l’implantations des souvenirs-slogans dans le fond de l’œil,
→ la réalité d’une housse mortuaire au bout de la rue,
→ la réalité de la lâcheté fictive qui te caractérise,
→ la réalité, c’est le mal être qui s’exprime,
→ la réalité, c’est le message de voix étouffées, de frottements que quelqu’un entendra demain, 
→ la réalité fictive de l'entropie qui t'érode rude, en rade, complètement raide,
→ la réalité, c’est 32 feuilles + 32 filtres et la musique, la musique,
→ la réalité, c'est le monde qui te colle en échec, une balle dans la tête – pour rien  
→ la réalité, c'est ta chute filmée en GoPro dans le Styx pour la mettre en ligne,
→ la réalité, c’est choper le maximum de views sur YouTube le plus vite possible,
→ la réalité, c'est un base jump au ralenti sans paraben, et des likes à la pelle,
→ la réalité, c’est quelques pas sans attaches sur une high line tendue dans le ciel,
→ la réalité, c'est les prises qui dérapent, se dérobent, disparaissent, la paroi qui craque, se fissure de plus en plus,
→ la réalité, c’est ta corde qui tire, ta corde qui tire, ta corde qui se rompt et le vertige qui t'étreint, te suffoque, t'asphyxie,
→ la réalité, c’est un happy slapping sous les lampadaires oranges,
→ la réalité, c'est le premier slogan qui t'a contaminé au round-up,
→ la réalité, c’est l’incompréhension, le mur du son,  
→ la réalité, c'est la vase que tu dragues, que tu brasses en boucle, alors que tu sais bien que bouger ne fera que t’enfoncer plus vite et plus profond,
→ la réalité, c’est le froid,
→ la réalité, c’est la douleur,
→ la réalité c’est qu’à la base, tu ne devais pas sortir ce soir.  


La réalité acide maintenant, c’est ta peau grise, sous vide. Ta peau stressée, enlacée, saucissonnée, comprimée, compressée, emballée.
La réalité, la réalité ici et maintenant, c'est ton corps sans vie, boursouflé, que les flics viennent tout juste de retirer de l'eau sombre du fleuve glacé.




jeudi 17 septembre 2015

lundi 14 septembre 2015

Parution de "PRENSSÉE C - complexité nouvelle" (Mathias Richard) sur le site Libr-critique

Le syntexte prenssée c - complexité nouvelle de Mathias Richard paraît sur le site Libr-critique (11 septembre 2015).

Lien vers le texte :


mardi 8 septembre 2015

Est-ce que l'espace peut craquer ? (clip)


Est-ce que l'espace peut craquer
par
Agathe Paysant, voix
Chloé Hiro, clavier
Nora Neko, machines
Mathias Richard, voix, mots

Extrait de l'album M.A.N.C.


1. Intro 03:26
2. Les réserves 03:43
3. Je veux marcher dans le soleil 09:08
4. Marche 06:49
5. Ne sais pas 04:05
6. Anaérobiose 03:33
7. Le passé c'est pas assez 04:42
8. Est-ce que l'espace peut craquer 08:39
9. L'œil dans le ciel 04:09
10. Qu'ai-je dans la tête 12:32

(Improvisé-enregistré le 15 juin 2015 à l'Asile 404, Marseille)









Vidéo extraite de Boucles et misères
Image : Axel Weber

lundi 7 septembre 2015

samedi 5 septembre 2015

Sur l'art et la fête, par Nora Neko

Nora Neko partage avec nous une réflexion sur les liens entre fête et art, et c'est au passage un témoignage sur l'expérience, l'aventure, qu'est le lieu Asile 404 à Marseille.




L’art comme débordement de la fête vers le monde, la fête comme place de l'art


Enfant, j’ai vu un film sur Picasso, l’œil fou, peignant sur une vitre, de l’autre côté de la caméra. On me parlait aussi de Van Gogh, que j’imaginais, comme un brahmane solitaire, passer ses journées dans des coins perdus sans parler à quiconque, sans bouger de sa toile… Et il y avait Raquel, ex-femme de mon père qui me gardait souvent et qui peignait des heures durant des monochromes de 4 mètres de haut, silencieusement et avec une concentration religieuse. L’art était pour moi tout ce qu’il y a de plus sérieux, n’importe quelle blague de surréaliste semblait nécessiter des dizaines de livres pour être comprise, et même mon premier contact avec la performance (happening sanglant dans une galerie, alors que j’avais 13 ans) ne m’a pas du tout fait penser à la fête.

La fête c’est plutôt le mot que j'utilise quand, à force d’échanges verbaux tous azimuts avec des gens, de danse et de musique, de drogues parfois, d’émotions charnelles souvent, quelque chose en moi s’illumine, le monde devient alors léger et aimable, la beauté des gens transparaît à travers leur laideur et, sans faire rien de plus, nous fabriquons quelque chose, quelque chose de tangible entre nous.

Pour atteindre cet état de plaisir, bien des gens se professionnalisent : organiser des teufs dans la campagne avec ce qu’il faut d’ingénierie technique pour tout faire fonctionner, se faire prêter des belles maisons pour des garden-party sauvages, jouer au chat et à la souris avec les autorités, inviter savamment les gens qui vont favoriser la bonne alchimie collective, passer la musique qui va entrer en résonance avec l’humeur présente d’une foule, accompagner les abuseurs de tout dans leurs bons et mauvais délires… sont des savoirs-faire dont l’absence se fait tout de suite sentir.

Une bonne ou une mauvaise fête est ensuite toujours contée, par et entre ceux qui l’ont vécue, afin qu’elle se fige dans la mémoire, que les photos, insignifiantes pour les absents, deviennent les supports à histoire attestant que la fête était réussie, ou foireuse, ou riche en aventures… que la fête était. Puis seules les photos demeurent, associées à une vague sensation agréable, une sensation floue de « présent vivant » déjà passée, incomparable de fait avec la précédente ou la suivante.

Pourtant, ce rapport à la récréation-consommation (prendre de tout et beaucoup, vouloir faire l’amour dans les toilettes à des inconnus, dépenser l’argent férocement, faire des déclarations d’amour à des rivaux, engueuler ses amis, pleurer...) ouvre des possibilités de débordement. Le monde que l’on entrevoit alors : gens qui s’étreignent heureux comme des enfants, corps lâchés jusqu’à l'épuisement, esprits ouverts à l’absurde, à l’étrange, à l’inconséquence, au partage, détails familiers et pourtant nouveaux dans l’environnement, paysages, couleurs, sons, lumières d’une singularité sans mots (fut-ce le plafond d’une cuisine), une temporalité distendue qui sent l’éternel… propose un état souverain oserais-je dire en pensant à Bataille (même si ce qu’il met derrière ce terme est plus compliqué que ça). Un état que l’on aimerait bien connaître dans l’autre dimension du monde.

Les ingrédients qui fabriquent la fête sont ceux qui l’effacent : l’alcool, les regrets d’avoir dit oui d’avoir dit non, de ne plus rien se rappeler, les redescentes et contrecoups psycho-physiologiques divers appellent au retour à la normale, proposant fatalement un schéma d’addition salée : le prix à payer pour avoir lâché quelques heures, quelques jours, quelques années, les rênes du contrôle. Ainsi, comme pour le jeu, tel que Caillois [1] en parle (un espace hétérotopique qui s’oppose au « sérieux »), la fête, dans son amnésie, ne fait peut-être que renforcer la légitimité de ce qui l’entoure : la société « sérieuse » et astreignante, voire aliénante : (l’argent au centre de tout, les villes remplies de passants anonymes, bougons et craintifs, le gris du monde dont on se sent victime ou pire, complice). La fête sait faire oublier cela, c’est son premier rôle, comme le carnaval, comme le foot, comme la guerre, comme toute forme de communion, comme tout rituel expiatoire, souhaité ou subi...

Au lycée, Duchamp m’avait séduit avec « les regardeurs qui font les tableaux » : acception où l’art serait (à l’instar de la Force) ce qui "circule" entre le regardeur et le tableau. A l’instar d’un dieu il serait donc partout pour qui le reconnaît, pour qui a éprouvé une émotion consécutive au contact : trouble ou choc esthétique, vertige de la question sans réponse. L’art n’a donc pas forcément besoin d’oeuvre ni même d’artiste (le chant du frigo, la distorsion des rochers à travers l’eau de mer, les éclairs, la mue des cigales…) mais l’artiste est un participant possible à ce processus naturel en initiant, pour lui-même ou pour autrui, ledit choc, émotion, trouble esthétique… Seul le regardeur est impératif, c’est lui la matière première de l’oeuvre, une matière humaine. Cette idée qui paraît si simple a mûri de longues années avant que je puisse en éprouver une quelconque illustration.



Avant de créer l’Asile 404, j’ai travaillé sur un festival de films maison (micro-formats de moins d’une minute !) pour lequel quiconque voulait assister à la projection devait créer son propre film. Il s’agissait du Cappuccino Long Street Festival [2], dont le texte d’introduction commençait ainsi : « Trop souvent l’énergie de la fête se termine avec les lumières du jour sans laisser autre trace qu’un léger mal de tête. Comment aller plus loin dans la rencontre ? »

Ici pas d’ambition déclarée de produire des œuvres d’art, encore moins des œuvres d’art-vidéo. Il s’agissait plutôt de mettre le maximum de gens en situation de réalisateurs, de leur faire traverser le trouble magique que l’on éprouve pendant les tournages de films, particulièrement les œuvres de fiction, ou l’on répète une scène plusieurs fois, où l’on modifie le réel juste avec un cadre et un éclairage (rarement plus avec ces productions sans budget, parfois filmées au téléphone pas cher). Les soirées de projection étaient des mises en scène, parfois un peu sadiques à l’encontre des publics-participants, où ils devaient répondre à des faux questionnaires hyper-détaillés, affronter des faux comités de censure, des faux experts juridiques… mises en scène qui servaient à créer la tension nécessaire pour rendre sacré le moment de la projection. Les gagnants étaient choisis à l’applaudimètre et ensuite lapidés par le public avec toutes sortes de projectiles. Chaque édition comptait entre 50 et 70 films et l'ambiance particulière de chaque soirée était pour le moins fervente. Les films étaient (sont encore) répertoriés sur un site où se côtoient sans scrupules d’infâmes nullités et des petits chefs-d’oeuvre. Ils sont, en réalité, une simple trace de que qui faisait oeuvre dans ce projet : tous les films ensemble, avec cette tension dans le public, la création dans le détail d’une atmosphère "artificielle".



L’Asile 404 était un pas de plus vers cette démarche. Il s’agissait de créer, dans un quartier populaire, un atelier ayant pignon sur rue afin de faire des passants, voisins, usagers du quartier, les cobayes et la matière constituante d’œuvres in situ, toutes disciplines confondues. Il fallait que des performances hyper-pointues, de la musique expérimentale, des films d’art, des conférences, bref des propositions actuelles et audacieuses puissent être présentées à des gens qui n’ont jamais étudié l’art, qui ne vont pas au musée ou dans les galeries, qui ne savent pas à quoi ça sert et qui s’en fichent bien. Tout reposait sur le fait que tout le monde devait s’y sentir chez soi pour que la perméabilité soit totale et que de ces rencontres, émerge non pas de la culture mais rien de moins qu’une envie commune de re-regarder le monde.

Après trois ans d’existence, l’Asile a éprouvé une expérience pleine de nuances vis-à-vis de cette ambition et il s’avère que ce n’est pas lors des innombrables vernissages, ateliers ouverts, classes pour enfants que les choses se sont enclenchées mais bel et bien dans les fêtes, qu’elles soient dehors en pleine journée comme lors des Fêtes de l’Œil [3] ou plus fréquemment le soir, c’est la dimension festive qui a su réunir des gens différents, leur donner le temps de se rencontrer, d’établir des codes sociaux souples, spécifiques à cet espace, d’émuler ensemble jusqu’à oublier complètement qui sont les artistes dans l’histoire. A présent tous nos vernissages sont en soirée, durent tard, accueillent les gens qui soudainement, entre un concert et une fin de nuit incertaine, se perdent dans nos murs et s’arrêtent une heure devant une toile, un film, s’engouffrent dans un espace clos sans savoir ce qui les y attend, car plus l’heure tourne, moins elle compte.

Un souvenir précis que j’espère explicite : La douche [4], une oeuvre de Marine Debilly-Cerisier. Il s’agissait d’une simple douche carrée, dans un coin de la salle face à l’entrée. Elle protégeait son coupant par le moyen d’un rideau en plastique totalement transparent. En journée, les visiteurs regardaient l’objet comme une sculpture, voire simplement comme une douche résultant d’une transformation d’espace inachevée. Le soir, après une heure de concert dans une salle surchauffée, les aspirants à une douche fraîche devenaient plus nombreux et surtout un peu moins timides. Certains des nombreux usagers de cette douche ont gardé leur vêtements, tout ou partie, mais la plupart des hommes et femmes qui se sont douchés ont joué le jeu et fait ainsi exister l’oeuvre. Certains visiteurs diurnes en la voyant éteinte, dans un espace calme et éclairé ont eu un rictus de mépris en voyant là une pâle référence à l’Urinoir, et ils ont sans doute raison. Cette douche marchait. Éteinte, elle était comme un instrument de musique posé au sol : une référence conceptuelle, intellectuelle à la musique pour ceux qui en connaissent l’usage. Une fois mise en marche par quelqu'un, elle fait oeuvre : tout le monde comprend la double dimension intime/scénique de l’objet-douche (de toutes les douches du monde). Elle crée également une narration pour les spectateurs en imposant une véritable performance pour chaque usager qui à la fois doit se montrer et oublier qu’il est regardé, et enfin, surtout, elle fabrique une ambiance précise et fragile dans la foule... Rue d’Aubagne, 1h du matin, les gens sont ivres, des filles nues passent parmi eux en se séchant, aucun geste déplacé, aucune remarque motivée par autre chose que la camaraderie. Tout le monde entrevoit un instant la valeur de cette douce intimité partagée avec des inconnus (inconnus comprenant notamment quelques ivrognes célibataires pas forcément toujours respectueux des femmes, avec qui créer une tel climat, une telle secousse des rapports sociaux relève possiblement de l’exploit).



De cette accumulation d’expériences collectives, où la fête, phénomène ancestral voire ante-humain, brouille ainsi les notions historiques d’oeuvre, d’artiste, de public, émergera peut-être de nouveaux regardeurs, pas de ceux qui s’intéressent à l’art, de ceux qui savent le faire exister quand l’occasion se présente, c’est à dire bien au-delà des lieux d’art. Comme Lars Von Trier qui, dans Idioten, renvoie chacun faire l’idiot dans son propre monde pour mieux le renverser, je compte avec espoir sur cette forme d’art (non pas ce qui est à voir mais ce qui a été vécu et absorbé) pour contaminer, esthétiquement et donc politiquement, le réel autant que son double [5].



Nora Neko, le 18.08.2015


1. Roger Caillois, Des jeux et des hommes : sur les rapports entre la fête et le jeu il y aurait beaucoup à dire.
4. Marine Debilly-Cerisier, La douche, scénographie du banal (2014)
5. Clément Rosset, Le réel et son double





Une nouvelle histoire anéantie : la terre des oiseaux

image-la-terre-des-oiseaux

Aucun nuage ne peuplait le ciel cette nuit-là. Mais les étoiles ne les remplaçaient pas pour autant. Tout juste pouvait-on voir s’étendre au-dessus des étendues glacées, la mince traînée blanche de la Voie lactée. Venue du haut du ciel, une bourrasque descendit en tourbillonnant sur un lac jusqu’alors endormi. Aussitôt, l’épaisse couche de glace qui protégeait la fragile étendue d’eau se brisa nette. Un par un, les morceaux de neige gelés qui constituaient sa carapace se firent submerger par le liquide récemment libéré, jusqu’à ce que plus rien ne subsiste de la croûte qui l’avait tenu emprisonné. Alors, pour la première fois depuis mille ans, le lac fit gonfler ses flots bruns et aspira goulûment tout l’air qui se trouvait à sa portée.

Dans la forêt en contrebas, un cri se fit entendre. Mille ans durant, les arbres avaient fait consciencieusement disparaître tout ce qui se trouvait en dessous de leurs branches. Si bien que même les rapaces, qui allaient et venaient au-dessus du paysage, furent surpris de ce signe manifeste qu’une existence se tenait là, en bas. L’étonnement passé, les oiseaux du haut du ciel se regroupèrent pour discuter de l’origine de ce bruit, et décider s’il était opportun de pousser l’investigation plus loin. De mémoire de volatiles, aucune assemblée comme celle-ci n’avait été organisée depuis mille ans au moins. Cela expliquait l’ambiance survoltée qui régnait dans le haut du ciel. Chacun y allait de ses arguments : les uns voulaient continuer à voler sur le paysage sans que personne ne vînt les déranger, si ce n’est la mort elle-même ; les autres se proposaient pour partir en éclaireur afin de déterminer l’existence à l’origine de ce cri. Personne n’arrivait à se mettre d’accord. Et, au-dessus de la forêt, l’on n’entendit que piaillements, et l’on ne vit que plumes.

Soudain, les arbres à l’orée de la forêt bruissèrent. Une silhouette en sortit et commença à marcher en direction du lac. En voyant cela, la moitié des oiseaux présents dans le haut du ciel descendirent en piqué vers la tache noire qui avançait dans les étendues glacées. Quelques secondes après, ils cernaient la personne qui – ils pouvaient le distinguer maintenant – était emmitouflée dans d’épaisses fourrures, de la tête aux pieds.

- Que fais-tu ?

- Où vas-tu ?

- Pourquoi n’avons-nous pas été au courant de ton existence ?

- Qui es-tu ? Qui es-tu ?

La nuée assaillait de questions le marcheur. Mais celui-ci, imperturbable, continuait son périple vers le lac, sans prendre le temps de leur répondre. Au fur et à mesure qu’il progressait, les oiseaux se sentirent de plus en plus ignorés. Depuis mille ans, ils étaient les maîtres du haut ciel et de la terre. Ce faisant, ils se sentaient outragés qu’un humain tout juste sorti des entrailles de la forêt put leur manquer de respect à ce point. Et cela les mit dans une colère furieuse.

Alors qu’il arrivait tout juste sur les contreforts du lac, les oiseaux se précipitèrent sur l’humain pour le percer de toutes parts avec leurs becs, et lui labourer les entrailles avec leurs griffes. L’attaque fut si puissante et si rapide que la personne s’effondra en un instant. Puis son corps inanimé roula jusqu’aux berges du lac qui avait récemment repris vie.

Des flots de sang s’échappèrent de son flanc, et coulèrent vers les eaux brunes pour s'y mêler. Alors l’épaisse couche de glace qui avait emprisonné le plan d’eau pendant mille ans se reforma. Et les oiseaux, satisfaits, repartirent vers le ciel.