mercredi 17 juillet 2019

Un jour on tombe malade


Un jour on tombe malade, et tout s’arrête soudainement. On ne peut plus sortir, faire des courses, des activités, voir des amis, voir des gens, faire du sport, aller à des concerts, dans des bars, chanter, travailler, se promener… Tout s’arrête, on n’est plus qu’une carcasse qui se traîne, une respiration douloureuse, qui vit respiration par respiration, non pas « au jour le jour » mais « à la respiration la respiration ». Cela arrive d’un coup, tout s’interrompt, se fige, on n’a très rapidement presque plus personne à qui parler, et le fait de souffrir en continu rend le caractère mauvais, ce qui fait fuir les dernières personnes attentionnées. On fait le vide, la vie devient un grand vide, avec juste des actions de soulagement, et la pensée de plus en plus omniprésente de son butoir, de sa fin concrète, et la volonté de mettre ses affaires en ordre en préparation de sa mort, et ne pas y arriver car on n’a plus de forces, s’inquiéter de cela. La vie a complètement changé. Les soulagements ont disparu. Il n’y a plus de tabac, il n’y a plus d’alcool, il n’y a plus de sorties, de grandes discussions joyeuses, de danses, de projets. Le sexe paraît plus difficile, moins intéressant. On doit tout, absolument tout, annuler. Il n’y a plus rien. Tout s’arrête, le monde n’est plus le même, le monde s’est entièrement remodelé, la vie apparaît très différemment, avec beaucoup de recul, la plupart des choses paraissent inutiles et superficielles, c’est étonnant qu’elles aient pu exister, il paraît évident que ça n’intéresse plus personne, que personne ne peut continuer à vivre comme cela, que la vie c’était juste une machine emballée, absurde et que maintenant tout le monde a compris. Plus rien ne sera jamais pareil. On vit dans un nouveau monde, un autre monde, lointain, plus sage peut-être, dépouillé, débarrassé, dans laquelle on sait que chaque journée est possiblement la dernière, que chaque geste, chaque action, est important, un miracle, quelque chose de rare. 
Et un jour, après des mois comme cela à l’écart, on sort enfin dans la rue, marcher quelques minutes. Et alors frappe quelque chose de terrible, de bouleversant, de froid, de tranquille : le monde a continué comme si de rien n’était ; rien n’a changé ; tout a changé pour soi, mais rien, absolument rien, n’a changé pour les autres, qui ne s’en rendent même pas compte. On est étonné d’en être étonné. On voit tout comme une sorte de machinerie infinie, absurde et indifférente, qui continue avec ou sans soi, sans sens particulier. Tout s'est immobilisé pour soi mais pas pour les autres, qui continuent et vivent comme si de rien n'était. Comme un pilotage automatique. On est tel un mort (un absent) qui se promène au milieu des vivants, et les vivants semblent doucement mécaniques, répétitifs, inconscients, prévisibles, dans leurs buts, préoccupations, actions, discussions, façons de parler, projets, plaisirs. C’est un sentiment très étrange d’être au milieu de cela et de l’observer. Puis de rentrer chez soi.

Quand tout change pour soi, c’est uniquement pour soi, rien ne change pour les autres.
Quand tout s’arrête pour soi, c’est uniquement pour soi, rien ne s’arrête pour les autres.
C’est une évidence, mais c’est une évidence qui reste étonnante, troublante, quand on la vit. On voit, on sait, on constate, que l’on n’est rien, que soi-même n’est rien, n’a aucune incidence, que nous sommes tous séparés dans des vies et des espaces-temps irrémédiablement différents.







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