Messe tous les mardis et samedis à 18h15
Lecture du livre des morts tous les soirs à 19h30.
Une affichette annonçait sobrement le programme devant un pavillon type du lotissement. Ce genre d‘églises fleurissaient avec les vagues de migrations et l’évolution de la maladie. Les camps dans lesquels nous vivions ne portaient plus les noms des lieux-dits ou des villages de l’ancien temps. Nous étions des communautés suburbaines migrantes attachées à d’autres conglomérats urbains aux frontières définies par le front de la peste. Le culte se déroulait partout dans les sous-sols, sans exception.
23H53 - les adeptes tapent encore dans leurs mains sans ressentir les effets de la fatigue, dansent autour d’une cascade de cire grimpant jusqu’au plafond où une forme prenait vie à force de prières, d’incantations et de transes climatisées. C’est un enfant qui se matérialisait et s’échappait dans le réseau de couloirs et de galeries, notre poursuite n’était qu’un grondement de tambours et de crécelles conglomérés en une ombre bien plus maladroite que dangereuse. Capturé et apprivoisé, le petit allait nous livrer ses secrets. Encore fallait-il que le sorcier soit à la hauteur.
Au retour de son séjour, Yuri n’était plus le même. Son accident l’avait déjà sacrement abîmé, mais là, ce n’était pas la même chose.
Il nous parlait les mains posées sur le béton noir.
— Je suis ici depuis toujours… je vous ferai perdre toute illusion… je vous ferai affronter la mort en face, le suicide du monde n’est qu’une première étape, car la vie et la mort n’existent pas… je porte au cou le chapelet des points passés et des futurs...
Sa bouche claqua une nouvelle fois, il passa sa patte sur ma main, oui, une patte, comme le pelage rêche d’un renard ou les plumes d’un jeune corbeau. Il se leva et serra la main de cet enfant qu’il semblait déjà connaître sans jamais l’avoir vu. Toute sa vie, il fût connecté, il avait reçu un message dans le futur ; c’est ce qu’il nous répétait régulièrement.
— J’ai toujours été ici… et pour y revenir je dois lâcher prise, totalement, comprenez bien que nous devons tous lâcher prise… d’ailleurs… tout ce à quoi vous vous attachez est déjà détaché de l’arbre de Vie et ce ne sont pas vos possessions matérielles qui vous sauveront de la chute... comprenez bien que vos morales, vos valeurs, vos lois, vos outils et votre fuite devant la maladie ne sont pas des parachutes. De l’autre côté de la frontière... la zone… c’est une prison à ciel ouvert qui n’offre comme seule évasion que des camps de réfugiés, une prison qui possède toutes les caractéristiques antithétiques d’une prison. C’est une réserve. Le dispositif le plus perfectionné d’un camp en total liberté, sans gardien, sans surveillance, sans aucun système de coercition… et tout de même la possibilité de s’échapper. Pas de tache à accomplir, pas d’horaires, pas de travaux, un camp hors du temps, retourné à l’état de nature, sans loi ni ordre dont la seule issue est une mort certaine… oubliez les mensonges… de là où je suis... il vous est impossible de me contredire… si vous tenez à en avoir la preuve, écouter moi attentivement… ce monde n’est pas une prison, mon corps n’est pas une cage, mon corps est mon sanctuaire, un microcosme pour communier avec le macrocosme…
Aucun des adeptes n’aurait remis en cause sa parole bien que la plupart prenaient ces cérémonies pour un divertissement ou une forme de folklore dissident. Si le message n’était pas pris à la lettre, l’effet de catharsis, lui, tournait à plein régime
— Il n'y aura pas de sauveur… c'est faux… vous êtes vos propres bourreaux ou vos propres sauveurs, c'est selon… vous avez le choix de rester gentiment dans le camp ou alors de saisir la chance de vous envoler...
Moi, je cherchais à oublier.
La journée, je me baladais dans les maisons, un chapeau d’aventurier sur la tête. Je ne quittais jamais mon journal intime. Je le partageais avec un jeune homme d’un autre âge dont je ne connaissais que les souvenirs, ses petites joies, ses peines. Il contenait des émotions perdues et des scènes de la vie quotidienne que je m’amusais à répliquer chaque jour dans un décor différent.
Le petit déjeuner, le repas du midi, du soir, le papa, la maman, le fils, les copains… et l’amoureuse secrète qui habitait à quelques pas d’ici dans le quartier voisin. Je rejouais sa vie en changeant chaque jour un détail, ajoutant un personnage ou un accessoire, révisant l’ambiance selon les vibrations du lieu. Les plus belles pièces étaient celles encore vierges de tout relogement, totalement baignées de poussière où chaque objet déplacé avait le pouvoir de transmettre un souvenir vivant de ces familles qui changèrent de zone en n’emportant que l’essentiel, c’est à dire à peine plus que le contenu d’un sac à dos.
Je cherchais à oublier ma vie et à redevenir ce garçon qui rêvait encore de pouvoir noircir les pages de son carnet et de sa destiné.
— Quand vous aurez écris votre passé et que vous l'aurez réduit en cendres vous pourrez peut être concevoir le futur… mais dépêchez-vous… le futur est déjà là… le temps d’écouter cette phrase et j'ai déjà choisi le possible. Et il ne sera pas forcement du goût de tous… je l'ai assez répété, vous ne trouverez pas de solutions à vos problèmes dans des notices d’utilisation… les problèmes sont des cellules de prison, tout ce qui est perceptible peut être placé dans une boite… l’illusion que vous nommez réalité physique est un savant assemblage de boîtes les unes dans les autres… on passe d’une cellule à une autre… et passé la nouveauté, on rumine, on gâche, on fait des tours dans la cour pour se changer les idées, parfois on reçoit des paroles qui nous libèrent, et parfois… quand on croit pouvoir s’affranchir des règles du jeu, un gardien se manifeste pour vous remettre dans les rangs avec toute la violence nécessaire. Votre cellule… il faut la vider de son contenu… n’en garder laisser que le matelas… une couverture à la limite… y dormir les volets ouverts en attendant le lever du soleil. Ne quittez pas votre cellule... et demandez-vous ce que vous voulez… ce que vous voulez vraiment… point barre. Cette seule pensée doit vous occuper… alors… à la tombée de la nuit… vous pourrez quittez la zone. Sortez. Et dévoilez votre nouvel être. Rejoignez moi dans la forêt.
Quand je suis revenu pour en parler à Yuri, les horaires n’avaient pas changé. Le portail en fer forgé n’avait pas bougé de place, mais il ne restait de la maison que des poutres carbonisées surnageant d’un tas de cendres. Une grosse dame sortie. Elle criait en bougeant les bras dans toutes les directions. Elle logeait dans la maison voisine, sans doute, et je compris qu’il fallait que je parte sans attendre, qu’il n’y avait rien à trouver dans les ruines, qu’ils en avaient assez des rituels et de tout ce tralala mystique, et qu’à force de jouer avec le feu ça finit toujours par mal finir. Le vent lui aussi me poussait vers le retour, dans une brume de cendre se lovant dans tous les interstices de mes affaires.
Je ne devançais le désert que d’un pas.
Lecture du livre des morts tous les soirs à 19h30.
Une affichette annonçait sobrement le programme devant un pavillon type du lotissement. Ce genre d‘églises fleurissaient avec les vagues de migrations et l’évolution de la maladie. Les camps dans lesquels nous vivions ne portaient plus les noms des lieux-dits ou des villages de l’ancien temps. Nous étions des communautés suburbaines migrantes attachées à d’autres conglomérats urbains aux frontières définies par le front de la peste. Le culte se déroulait partout dans les sous-sols, sans exception.
23H53 - les adeptes tapent encore dans leurs mains sans ressentir les effets de la fatigue, dansent autour d’une cascade de cire grimpant jusqu’au plafond où une forme prenait vie à force de prières, d’incantations et de transes climatisées. C’est un enfant qui se matérialisait et s’échappait dans le réseau de couloirs et de galeries, notre poursuite n’était qu’un grondement de tambours et de crécelles conglomérés en une ombre bien plus maladroite que dangereuse. Capturé et apprivoisé, le petit allait nous livrer ses secrets. Encore fallait-il que le sorcier soit à la hauteur.
Au retour de son séjour, Yuri n’était plus le même. Son accident l’avait déjà sacrement abîmé, mais là, ce n’était pas la même chose.
Il nous parlait les mains posées sur le béton noir.
— Je suis ici depuis toujours… je vous ferai perdre toute illusion… je vous ferai affronter la mort en face, le suicide du monde n’est qu’une première étape, car la vie et la mort n’existent pas… je porte au cou le chapelet des points passés et des futurs...
Sa bouche claqua une nouvelle fois, il passa sa patte sur ma main, oui, une patte, comme le pelage rêche d’un renard ou les plumes d’un jeune corbeau. Il se leva et serra la main de cet enfant qu’il semblait déjà connaître sans jamais l’avoir vu. Toute sa vie, il fût connecté, il avait reçu un message dans le futur ; c’est ce qu’il nous répétait régulièrement.
— J’ai toujours été ici… et pour y revenir je dois lâcher prise, totalement, comprenez bien que nous devons tous lâcher prise… d’ailleurs… tout ce à quoi vous vous attachez est déjà détaché de l’arbre de Vie et ce ne sont pas vos possessions matérielles qui vous sauveront de la chute... comprenez bien que vos morales, vos valeurs, vos lois, vos outils et votre fuite devant la maladie ne sont pas des parachutes. De l’autre côté de la frontière... la zone… c’est une prison à ciel ouvert qui n’offre comme seule évasion que des camps de réfugiés, une prison qui possède toutes les caractéristiques antithétiques d’une prison. C’est une réserve. Le dispositif le plus perfectionné d’un camp en total liberté, sans gardien, sans surveillance, sans aucun système de coercition… et tout de même la possibilité de s’échapper. Pas de tache à accomplir, pas d’horaires, pas de travaux, un camp hors du temps, retourné à l’état de nature, sans loi ni ordre dont la seule issue est une mort certaine… oubliez les mensonges… de là où je suis... il vous est impossible de me contredire… si vous tenez à en avoir la preuve, écouter moi attentivement… ce monde n’est pas une prison, mon corps n’est pas une cage, mon corps est mon sanctuaire, un microcosme pour communier avec le macrocosme…
Aucun des adeptes n’aurait remis en cause sa parole bien que la plupart prenaient ces cérémonies pour un divertissement ou une forme de folklore dissident. Si le message n’était pas pris à la lettre, l’effet de catharsis, lui, tournait à plein régime
— Il n'y aura pas de sauveur… c'est faux… vous êtes vos propres bourreaux ou vos propres sauveurs, c'est selon… vous avez le choix de rester gentiment dans le camp ou alors de saisir la chance de vous envoler...
Moi, je cherchais à oublier.
La journée, je me baladais dans les maisons, un chapeau d’aventurier sur la tête. Je ne quittais jamais mon journal intime. Je le partageais avec un jeune homme d’un autre âge dont je ne connaissais que les souvenirs, ses petites joies, ses peines. Il contenait des émotions perdues et des scènes de la vie quotidienne que je m’amusais à répliquer chaque jour dans un décor différent.
Le petit déjeuner, le repas du midi, du soir, le papa, la maman, le fils, les copains… et l’amoureuse secrète qui habitait à quelques pas d’ici dans le quartier voisin. Je rejouais sa vie en changeant chaque jour un détail, ajoutant un personnage ou un accessoire, révisant l’ambiance selon les vibrations du lieu. Les plus belles pièces étaient celles encore vierges de tout relogement, totalement baignées de poussière où chaque objet déplacé avait le pouvoir de transmettre un souvenir vivant de ces familles qui changèrent de zone en n’emportant que l’essentiel, c’est à dire à peine plus que le contenu d’un sac à dos.
Je cherchais à oublier ma vie et à redevenir ce garçon qui rêvait encore de pouvoir noircir les pages de son carnet et de sa destiné.
— Quand vous aurez écris votre passé et que vous l'aurez réduit en cendres vous pourrez peut être concevoir le futur… mais dépêchez-vous… le futur est déjà là… le temps d’écouter cette phrase et j'ai déjà choisi le possible. Et il ne sera pas forcement du goût de tous… je l'ai assez répété, vous ne trouverez pas de solutions à vos problèmes dans des notices d’utilisation… les problèmes sont des cellules de prison, tout ce qui est perceptible peut être placé dans une boite… l’illusion que vous nommez réalité physique est un savant assemblage de boîtes les unes dans les autres… on passe d’une cellule à une autre… et passé la nouveauté, on rumine, on gâche, on fait des tours dans la cour pour se changer les idées, parfois on reçoit des paroles qui nous libèrent, et parfois… quand on croit pouvoir s’affranchir des règles du jeu, un gardien se manifeste pour vous remettre dans les rangs avec toute la violence nécessaire. Votre cellule… il faut la vider de son contenu… n’en garder laisser que le matelas… une couverture à la limite… y dormir les volets ouverts en attendant le lever du soleil. Ne quittez pas votre cellule... et demandez-vous ce que vous voulez… ce que vous voulez vraiment… point barre. Cette seule pensée doit vous occuper… alors… à la tombée de la nuit… vous pourrez quittez la zone. Sortez. Et dévoilez votre nouvel être. Rejoignez moi dans la forêt.
Quand je suis revenu pour en parler à Yuri, les horaires n’avaient pas changé. Le portail en fer forgé n’avait pas bougé de place, mais il ne restait de la maison que des poutres carbonisées surnageant d’un tas de cendres. Une grosse dame sortie. Elle criait en bougeant les bras dans toutes les directions. Elle logeait dans la maison voisine, sans doute, et je compris qu’il fallait que je parte sans attendre, qu’il n’y avait rien à trouver dans les ruines, qu’ils en avaient assez des rituels et de tout ce tralala mystique, et qu’à force de jouer avec le feu ça finit toujours par mal finir. Le vent lui aussi me poussait vers le retour, dans une brume de cendre se lovant dans tous les interstices de mes affaires.
Je ne devançais le désert que d’un pas.
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