Tu entends des voix. Peut-être. Des flashs bleus. Oranges.
Stroboscopes. Tu ne sais pas ce qui est réel. Mais tu as froid.
La réalité sous vide, acide, c'est
ta
peau
EN GROS PLAN -
Tu tremblerais si tu pouvais.
B r u i t b l a n c.
→ la réalité, c’est : donne-moi deux minutes pour te
parler d'un truc :
→ la réalité c'est ta face appuyée contre terre, la mâchoire
ouverte sur l'angle du trottoir mouillé, ta peau cramée, à vif, l'oreille
sanglante dans le caniveau rouillé,
→ la réalité tu vois, c'est le judas dans lequel tu regardes
les autres brûler,
→ la réalité tu vois, ce sont les projections, tes éclats
barbituriques dans la fumée mécanique des usines,
→ la réalité, c’est qu’on t’a porté et que t’as réussi à
appuyer dans l’ombre sur ton portable,
→ la réalité c'est l'anthrax dans la cité anthracite, le
ciel plombé,
→ la réalité, c’est juste des applaudissements enregistrés, des
morts samplés,
→ la réalité, c’est un Ouija avec le tangible potentiel,
→ la réalité d'une vodka-redbull à dix euros,
→ la réalité des terminaux et des coachs DRH,
→ la réalité des réseaux en perpétuelle reconfiguration,
extensibles, nano-drones dans la mégalopole,
→ la réalité monoxyde des torchères-miradors,
→ la réalité d'une pression coupée à la flotte antibiotique,
→ la réalité de la mousse pesticide face nord,
→ la réalité des bases de données dans le Pacifique,
méta-logiciels nucléaires et pluies grêles data,
→ la réalité, c’est : votre compte est débiteur,
veuillez contacter votre banque,
→ la réalité du trait coupé que tu sniffes en speed juste avant
de bouger,
→ la réalité des petites rides urgentes sur ta peau,
interstices où glisser une puce RFID,
→ la réalité du fond du monde saignant, l’implantations des
souvenirs-slogans dans le fond de l’œil,
→ la réalité d’une housse mortuaire au bout de la rue,
→ la réalité de la lâcheté fictive qui te caractérise,
→ la réalité, c’est le mal être qui s’exprime,
→ la réalité, c’est le message de voix étouffées, de
frottements que quelqu’un entendra demain,
→ la réalité fictive de l'entropie qui t'érode rude, en rade,
complètement raide,
→ la réalité, c’est 32 feuilles + 32 filtres et la musique, la
musique,
→ la réalité, c'est le monde qui te colle en échec, une
balle dans la tête – pour rien
→ la réalité, c'est ta chute filmée en GoPro dans le Styx pour
la mettre en ligne,
→ la réalité, c’est choper le maximum de views sur YouTube
le plus vite possible,
→ la réalité, c'est un base jump au ralenti sans paraben, et
des likes à la pelle,
→ la réalité, c’est quelques pas sans attaches sur une high
line tendue dans le ciel,
→ la réalité, c'est les prises qui dérapent, se dérobent,
disparaissent, la paroi qui craque, se fissure de plus en plus,
→ la réalité, c’est ta corde qui tire, ta corde qui tire, ta
corde qui se rompt et le vertige qui t'étreint, te suffoque, t'asphyxie,
→ la réalité, c’est un happy slapping sous les lampadaires
oranges,
→ la réalité, c'est le premier slogan qui t'a contaminé au
round-up,
→ la réalité, c’est l’incompréhension, le mur du son,
→ la réalité, c'est la vase que tu dragues, que tu brasses
en boucle, alors que tu sais bien que bouger ne fera que t’enfoncer plus vite
et plus profond,
→ la réalité, c’est le froid,
→ la réalité, c’est la douleur,
→ la réalité c’est qu’à la base, tu ne devais pas sortir ce
soir.
La réalité acide maintenant, c’est ta peau grise, sous vide.
Ta peau stressée, enlacée, saucissonnée, comprimée, compressée, emballée.
La réalité, la réalité ici et
maintenant, c'est
ton corps sans vie, boursouflé, que les flics viennent tout juste de retirer de
l'eau sombre du fleuve glacé.