- Arrêtez, cria-t-elle, vous êtes
en train de me violer !
Et en effet, c'était bien de cela
qu'il s'agissait.
Elle avait pour habitude, depuis
l'enfance, de tirer à vue sur les gens dès qu'ils s'approchaient.
C'était une habitude que sa mère lui avait transmise, mais qu'elle
ne transmettrait certainement pas à ses enfants, puisqu'elle ne
voulait voir personne. Si elle ne voulait voir personne, il
paraissait naturel qu'elle n'eût pas de relations sexuelles avec qui
que ce soit, et par conséquent, pas d'ovules fécondés, ni de
démultiplication de cellules jusqu'à la formation d'un embryon. Et
enfin, pas d'enfants. La lignée s'arrêterait avec Hildeberte,
lignée qui n'avait pas grande importance, cela dit, puisque le
résidu de sa famille était composé de cons, sur lesquels elle
tirait à vue pareillement.
L'existence de Hildeberte se déroulait
alors sans accrocs, sans anicroches et tout le fatras, depuis bientôt
30 ans. Conformément à son plan de vie, elle n'eût, dès l'âge de
25 ans, ni travail, ni amis, ni conjoint, ni confrères, rien, pour
ainsi dire, rien, et elle en était très heureuse. Installée dans
une maison au fin fond d'une immense plaine, elle coulait des jours
tranquilles – ne faisant rien, ne pensant pas. Et si d'aventure,
elle apercevait au cours de ses sempiternels promenades un badaud
traînant le pied là ou il n'aurait pas dû, elle le tuait d'un coup
de chevrotine bien senti en pleine poire.
Oui, dans ce qu'elle avait de plus cher
ne résidait pas son cœur.
Mais voilà qu'un jour trois hommes se
présentèrent à sa porte, sans qu'elle ne les attendît. Le premier
faisait bien 2 mètres de hauteur, mais était fin comme une épingle,
et nerveux comme un roseau pris dans une tempête. Il prit Hildeberte
par les pieds, la tira sur le carrelage et l'attacha avec une corde
qu'il tira de sous son manteau. Le deuxième était petit, ramassé
et gros comme un ballon rempli d'hélium. Il arracha les vêtements
de Hildeberte d'un coup sec et précis, et révéla aux yeux de tous
son corps nauséabond de solitude. Le troisième, un nain pourvue
d'une barbichette qui n'avait rien d'humaine lui demanda avec la plus
extrême amabilité, après qu'ils eût fait leur affaire, de sortir
de sa maison pour ne jamais y revenir.
Mais ça, Hildeberte s'y refusa.