jeudi 31 janvier 2019

samedi 26 janvier 2019

OK Monsieur c'est pigé, merci !

OK Monsieur j’ai compris : je suis de la merde. J’ai une vie de merde, je bouffe de la merde, je bois de la merde. C’est pigé M’sieur, cool. Mon air est fait de merde, quand je marche dans la rue je marche dans la merde je suis un merdonaute, tout est de la merde partout, chuis un cosmonaute de merde dans une existence de merde, à chaque seconde je respire de la merde, j’écoute de la merde, elle rentre dans mes oreilles, mes pensées sont merdiques, mes espoirs sont merdiques, je m’habille de merde, j’habite et dors dans de la merde, et quand je rêve, quand enfin je rêve, je fais des grands rêves de merde dans des labyrinthes de merde sans fin, dans lesquels je cueille des fleurs de merde. Des dreams de dreum. Puis je me réveille, toujours dans la merde : les murs sont en merde, tout est en merde, je merde. Et même la merde c’est trop beau, merde c’est un mot trop beau pour moi, vrai Monsieur. Du coup j’ai des habitudes de merde, des addictions de merde, je fume de la merde, je fume de merde, et l’électricité et les ondes sont une merde invisible qu’est partout.
Et c’est pigé Monsieur, la vérité, c’est mérité. C’est ce que je mérite. C’est simple : je suis une merde, je pense de la merde, je mérite de vivre comme une merde. Je me mets dans la merde, et me fous encore plus dans la merde, et ça m’emmerde : je tousse de la merde, je crache de la merde, je mouche de la merde, je chie des pissenlits de merde, je pisse de la merde, mes larmes sont en merde, mon sperme est de la merde, j’ai une santé de merde, je fais des boulots de merde, j’ai des relations de merde, je regarde des séries et du foot de merde, je joue à des jeux de merde, et chuis habillé comme une merde. Tout est logique. Du coup je me comporte comme de la merde, et ne suis qu’une petite merde parmi beaucoup d’autres sous-merdes, dans un ensemble assez merdique. Le soleil lui n’est pas en merde, je crois, mais le pauvre il doit éclairer toute cette merde tous les jours, en attendant que quelqu’un comme vous, Monsieur, tire la chasse. 
Alors oui Monsieur vous pouvez faire caca sur ma tête. C’est OK, pas besoin de demander, c’est bien la moindre des choses. Vu mes compétences de merde, mon expérience de merde, mes revenus de merde, mon utilité zéro, oui Monsieur je ferai les trucs de merde que vous demandez, sans problème. Faites caca sur moi c’est gratuit. Les gens font la queue pour me faire caca dessus, voilà un coupe-file. Faites caca sur ma tête, la mienne, celle de mes enfants, celle de ma femme, celle de mes parents, celle de mes potes, celle de mes voisins, faites caca dans ma bouche, faites caca sur ma porte, faites caca dans mon lit, faites caca sur moi, tous les jours, pas de problème. Faites comme tout le monde c’est normal. Je veux bien me tirer une balle dans la tête, mais ça fait un plop, comme dans une merde. Et chuis toujours là. Perdre dans un monde de merde, c’est dans l’ordre.

jeudi 24 janvier 2019

systématiquement Travis Scott







C’est une carapace. Désormais et systématiquement, je mange pour que je m’intègre. Pour que ce soit possible. Pour avoir le droit de marcher dans la foule. Pour que je circule normalement et poliment parmi les gens.
Et désormais et systématiquement, je pense, mais il y a une autre existence et ça se forme comme un trou, qui se met en face de moi et qui me parle lentement, qui articule et qui n’a pas le même tentacule au-dessus de la tête et au-dessous du cerveau.
Donc et désormais et systématiquement, je prends la logique au second degré. Le tentacule fait tout ce qu’il veut et il met la réalité dans une boite des c’est-à-dire.
Voilà et désormais et systématiquement, je prends la logique avec de l’eau salée. Le tentacule coud mes pulls et à partir de là et cela permet d'oxygéner plus efficacement ses cellules.
C’est supposé être drôle et désormais et systématiquement, ce n’est pas n’importe quel passage. Ce n’est pas n’importe quel sentiment. Ce n’est pas n’importe quel organe. Ce n’est pas n’importe quels mouvements des mains. Ce n’est pas n’importe quel mutant. Ce n’est pas n’importe quel regard. Il faut que tu crèves les yeux pour que tu me voies. Pour que tu voies. Pour que tu le voies.
L’immensité de. Et désormais et systématiquement, c’est très difficile d’expliquer. Si je continue, je vais me fâcher avec. Si ce n’est pas possible. Si ça n’évolue pas. C’est le but. C’est gagné.
C’est une clef. Et désormais et systématiquement, c’est au fond de l’attitude absurde à l’égard de la carapace tout court.
Khalid EL Morabethi

vendredi 18 janvier 2019

French poem 5 : Chaos



Kings from Queens from Queens come Kings ! Ice ice baby.
Bloody Sunday, Sunday morning : a hard day's night.
Wake me up. Bring the noise. Break on through. The sound of silence. 

Black dog. Blackberry. Black hole sun.
Great balls of fire : you can't touch this.
It's like that. It's a lot. 

Papa was a rollin' stone.
Papa don't care. Sex crime. 
Mama said knock you out. Like a virgin, like a prayer, like a dog without a bone.

Shiny shiny, boots of leather.
Shiny shine to shine ehy ha.
Sha na nananana sha nana nana.
La la la la la. [air de “Life is life”]   

Hey how ya doin'. Sorry ya can't get through.
Yo. Clic clic. Bang bang. Boom boom boom boom.

Hoogie boogie
The boogie to the bang bang boogie.

Tchicatchicatchica Hallelujah ! Ay ay ay. Cha cha cha. Kalimba de luna. Tchiki boum. Yop la boum.

Wop bop a loo bop a lop bom bom !
Wop bop a loo bop a lop ba ba !

SHEBAM ! POW ! BLOP ! WIZZ ! 

Wap wap wap
Doo wop, doo wap
Choubidou wap

And it's a whoah oh oh oh oh
Baby whoah oh oh oh oh

Doup, chewap, pouh.

Didou didouda.

Ski ba bop ba dop bop
Skibby dibby dib yo da dup dup
Ski-bi dibby dib yo da dub dub
Yo da dub dub

Miaouh miaouh.


She says, sh-sh-shhh.

(Where have they been ?
I'm waiting for my man.)


May all your dreams come true.




lundi 14 janvier 2019

Prométhée

Prométhée.
Prométhée dans la mythologie grecque c'est le titan qui a volé le feu aux Dieux pour le donner à l'humanité.
Pour ce geste, il est punit par Zeus, qui l'attache au sommet du mont Caucase afin qu'un aigle viennent lui dévorer le foi. Chaque jour.
Chaque jour son foi renait.
Chaque jour l'aigle revient.
Prométhée, j'aime ce nom. On dirait comme une injonction à la promesse. Promettez !
Promettez quoi qu'il en coute !
Prométhée me réconforte. C'est la promesse d'un feu.
Prométhée en grec, cela veut dire celui qui réfléchit avant.
Et beaucoup ont pensé celui qui réfléchi avant d'agir. Mais je ne pense pas.
Je crois plutôt que c'est celui qui réfléchit la lumière avant le feu.
Et ce n'est pas tant son foi qui est dévoré, mais sa foie qui repousse chaque matin. Comme pour rappeler que toute reflète la promesse du premier incendie.



 PROMETHEE
L'enfance est remplie de mage et de démons qui vous transpercent le cœur.
Arrivé à certain moment, il ne reste plus que des cendres.
Pourquoi les gens se ressemblent ? Je veux dire de cette manière ?
Une histoire secrète, creuse nos visages vierges. J'en suis convaincu.
Elle dégouline de générations en générations, remodèle la chair au gré de ses stigmates, perfore des crevasses au contour de nos folies.

Comme ça. Paf. Sur la gueule.

La psychose

Ils ont dit que c'était la psychose.

J'ai essayé de découpé mon visage avec une paire de ciseau. C'était à l'époque. C'était le temps du chaos.
Mais je ne pense pas. Pas que la psychose.

Je voulais échapper à ça. Il y avait autre chose.

Je pensais que si j'enlevais cette histoire, étrange, étrangère, que la vie avait dessinée sur ma peau, mon visage,
Je pourrais être libre.
Je ne sais pas pourquoi je me suis mis à penser ça. Je ne pense pas que l'on puisse être libre en fait.
Je pense que l'on ne peut rien faire. Qu'on est piégé comme des rats dans cette chose qu'on appelle la vie.
Tu réalises ? Tant ce truc n'a aucune fin, et nous sommes condamnés à vivre, et à revivre, mourir et renaître pour un temps qui n'existe pas.

Pour qui ?
Pour quoi ?
Je voulais sortir de ça.
Parce que vivre. Et répéter la fin. Sans fin. Sans repos.Sans cesse. Sans répit. Tout cela me semblait être la pire torture qui soit.

Mais les gens étaient prêt à mourir pour ça. Je veux dire.
Avoir de l'argent,
faire des gosses
Et leur faire subir, à leur tour, les stigmates, le visage qui dégouline, les crevasses, la merde en plastique, tout ça quoi.

Alors j'ai commencé à marcher. J'ai fui.
Et je me suis paumé. Je ne sais pas comment.
Dans une forêt. Un truc du genre.
Et je ne sais pas si c'est la folie, mais là. Tu vois.
Là.
J'ai vu cette grotte, perdue au milieu de nulle part. Et j'y suis rentré.
Et il y avait des peintures.
Des animaux,
Des trucs fait à la main, avec de la poudre.
Et je ne sais pas si c'est la folie.
Mais là j'ai eu un flash.

J'ai vu ce gars,
Une sorte de singe dans la vie,
Au milieu de truc qui le dépasse.
Perdu dans une jungle qu'il ne comprends pas.
Et les trucs en feux dans le ciel, et les machins qui veulent te bouffer
Et tous ces autres étranges qui te regardent mais qui n'en savent pas plus que toi sur la vie.


Je l'ai vu comme je te vois,
Essayer de parler,
Mais il n'avait pas les mots. Les mots n'existait pas.

Je l'ai vu essayer de crier, mais il ne pouvait pas.
Il n'y avait rien à crier.
Je l'ai vu.
Je l'ai vu tomber, tomber à genoux, prendre de la terre,
Prendre de la terre et l'étaler sur la roche pour dessiner.
Pour dessiner quelque chose.
Quelque chose de ce chaos fumant qu'il ne comprenait pas.
Et que personne ne comprends.
Son agonie. Notre agonie.
Et que personne ne comprends.

Je l'ai vu.

Et il m'est venu un mot pour décrire ça.
Un mot qu'il n'a pas eu, qu'il n'a pas pu dire. Un mot qu'il n'a pas pu voir.
Un mot.

Profane.


Je ne pense pas que c'était la psychose.
C'était autre chose.
J'ai vu une lumière. Un feu dans la nuit. Quelque chose d'aveuglant.
Et j'ai su.

Je n'étais plus aveugle.

Je n'étais plus profane.

Je suis sorti. Dehors. Annoncer la nouvelle.
Mais les gens n'écoutaient pas.
Ils me prenaient pour un fou.
Il ne voyait pas la lumière.
Dans laquelle il baignait. Tous.
Tout autour d'eux.
Il ne voyait rien,
Rien d'autre que
La folie.

Ma folie.

Notre folie

 

Et que personne ne comprends.

samedi 12 janvier 2019

"Tape recorder", un livre de Patrice Cazelles

A propos du livre Tape recorder de Patrice Cazelles
(par Mathias Richard)

J’ai lu le livre Tape recorder, du poète et performeur Patrice Cazelles, paru aux éditions Tangerine Nights.
A noter tout d’abord que la maquette de l’ouvrage est belle et simple, très lisible, ce qui facilite l’accès aux textes. Puis l’excellente illustration de couverture de Philippe Desclais. 

Ce bref ouvrage (66 pages) est constitué de trois textes. Trois textes très différents, explorant, traçant trois formes, trois directions.

1/ « Chaos = KO »
Les lecteurs de mutantisme : PATCH 1.2 le reconnaîtront, car un large extrait de « Chaos = KO » était présent dans ce livre collectif.
Il s’agit d’un chaos dense de phrases-pensées-sensations : des éléments de langage morcelés, de sources, techniques et natures variées, mélangées (sensibles, informationnelles...) ; des énoncés sur de multiples sujets, assemblés.

2/ « Ceci est mon corps »
A l’inverse, ce texte fait d’un seul bloc et d’un seul élan sans ponctuation est une variation (interrogations, affirmations, répétitions) sur un unique sujet, le corps. 

3/ Si les textes de ce livre méritent tous le détour, mon réel gros coup de cœur est le premier (et plus long) texte éponyme : « TAPE RECORDER (Lecture pour l’oreille) ». Celui-ci est à mes yeux (dans la mesure de ma connaissance de son travail) le chef-d’œuvre de Patrice Cazelles. 

« Tape recorder » (anglais pour « magnétophone») se présente comme la restitution, la transposition écrite, d’un enregistrement audio. L’enregistrement de la parole d’une femme, que l’on comprend être la mère de celui qui enregistre. Une femme plus toute jeune, de la campagne (de Franche-Comté est-il précisé sur le quatrième de couverture), qui manie un langage très vif, attachant, imagé, ancien, singulier, régional, « terroir ». 

Les choix stylistiques de transposition oral-écrit (points d’exclamation, points de suspension, peu de majuscules, abréviation/compression de mots/expressions) sont réussis et donnent la sensation du parlé. 

Ce qu’on lit est une voix, une parole fixée. Le résultat est extrêmement émouvant, saisissant, puisque cela témoigne d’un parlé en voie de disparition, d’un parlé du passé (cela rend vivant ce qui est révolu, véhicule une mémoire), et ce qu’elle communique est fort, sensible, énergique, drôle, intelligent, direct, une sorte de sagesse populaire, mais aussi personnelle, originale, le tout traversé de gouffres et vertiges avec beaucoup de naturel, tout est là très simplement. 
Qui n’a pas connu ou croisé une vieille bonne femme parlant comme ça dans le bourg d’un village ? On sent la maison de bourg, on entrevoit d’autres époques. Des guerres, des drames, des amours, des morts, des trahisons, de routines, des petits riens, des naissances, des maladies, des souvenirs légers, des joies, de la solitude, de tout.
Ce texte rend hommage, donne corps à ce parlé croustillant, cette torsion sur la langue par l’image et l’expression, charriant une expérience de la vie.

Si cela m’a tant touché, c’est peut-être, qu’au-delà du cas de la (supposée) mère de l’auteur, nous avons tous connu, et parlé avec, des personnes âgées qui nous ont communiqué, apporté, quelque chose de fort et vrai, et dont la parole a fait surgir pour nous, l’espace d’une discussion, des temps et personnes, et façons de parler, oubliés. 
Ici le pouvoir de la littérature de Patrice Cazelles est de savoir rendre cela au plus juste. Ce texte rend justice, au-delà de son cas particulier, à ces paroles sincères qui font la beauté, la valeur des rapports humains. Si on écoute les gens parler, on constate que la poésie est partout. De façon très contemporaine et fécondante, sans verser dans la littérature régionaliste. Et sans sensiblerie, de par le dispositif textuel (sobre, épuré) proposé, ce livre nous fait découvrir Patrice Cazelles comme un authentique travailleur de la langue, qui utilise les racines pour tâtonner vers l’inconnu.

MR

Tape recorder, Patrice Cazelles (éditions Tangerine nights, 2018)
https://tangerinenights.com/p/tape-recorder





EXTRAITS



Chaos = KO

« Le Savoir alimente le champ de l’ignorance Économie parallèle du doute Mafia Milieu Rituel – Savoir est une défense Ne pas savoir est une fuite Apprendre : n’est-ce par le chaos ? »

« La peur L’anxiété La névrose L’amour La violence L’attente La résistance Les émotions L’amour L’identité La solitude Le rire aigu franc presque un cri L’amour La culpabilité L’échec Le manque L’amour L’histoire de l’enfant qui se réveille la nuit dans la maison Le bruit Plusieurs voix en même temps La radio La route Les phares »

« Tournant Variable Sonde Distribution des hypothèses Langue étrangère Production de modes / de façons / de cassures / de lignages / d’effets / d’affects »



Ceci est mon corps

« le corps qu’a pas fait ses devoirs le corps qui t’informe qui s’inquiète de ta santé mentale le corps qui ferait bien un footing pendant qu’t’es chez le psy »

« le corps qui fait du tourisme sur le corps des autres qui fait le point qui cartographie qui évalue qui soupèse qui compare qui anticipe qui débriefe »

« le corps qui vient de plus en plus tard le corps qui s’égare qui se goure dans les horaires le corps qui répond à la question qu’on lui a pas posée qu’on lui posera plus le corps qui revient de loin qu’on croyait perdu le corps qui se fait sans qu’on s’y fasse le corps qui s’efface pour nous laisser passer... »



TAPE RECORDER (Lecture pour l’oreille)

« C’était dans sa cuisine, dans sa maison à Morsang. Ce jour-là j’ai pu l’enregistrer. Je peux en parler. Voilà. J’écris comme elle parle. » 

« dans la tête… c’est l’impression comme d’être arrivé quelque part mais c’est qu’une impression seulement… on sait pas trop ce qu’on est ni où on est… c’est vague tout ça… mais on y va, c’est sûr… hé oui, c’est l’mystère d’la vie comme on dit… on a bien les sacoches un peu vides au fond... »

« hein ? si quoi… ce que je pense de la vie moderne? oups ! là ! c’est dur comme question ça, moi je parle que de c’que je connais… je suis de mon temps, tu sais... »

« c’était quoi la question ?… ben disons qu’un jour c’est différent… tout’t’pèse… les bruits sont plus les mêmes… c’est sourd… on s’empègue dans des riens… t’es des heures sur des trucs qui vont pas bien… un évier… une clenche.. un nœud d’ficelle… un papier à remplir pour une date tu comprends même pas c’qu’i veulent… tout est plus lourd… tout !… non, c’est sans raison… t’as des bouffées… tu vas t’mettre à chouiner à l’arrivée d’un train… c’est même pas ton train… sais pas pourquoi… tu vois un gosse dans la rue et t’as peur… tu r’vis tes morts ça ça m’arrive surtout l’matin, du coup j’me lève plus vite… pas envie d’traîner là-dedans !… ça dure pas mais y’a quelque chose de planté !… t’es dans l’tube quoi !… si c’est important ?… ce qui est garce, c’est que tu contrôles pas les manettes… ça t’échappe… y’a quelque chose qu’a pris… qui t’as emprisonné… comme si le temps était devenu dur !… les jours sont épais, c’est l’idée que j’ai de la vieillesse… une glu… et ça vaut ce que ça pèse, va… (elle réfléchit)... »

« Y’a des gens c’est des légendes… ils vont parler d’eux comme si c’était des autres… avec légèreté… c’est déboîté d’eux-mêmes… moi tout m’touche… la pluie, les enfants, les allés/rev’nirs... »

« « Tu prendras du pain en r’passant ? »… Tous les jours je le disais sauf une fois et il a dit « Pourquoi tu le dis pas ?… ben depuis le temps tu devrais le savoir ben oui mais j’aime bien quand tu le dis »… avec l’habitude, on parle pour autre chose que ce qu’on dit… les autres ne savent pas ce qu’on dit… on dirait qu’ils nous entendent seulement... »

« T’es repassé des fois ? je sais pas ce que c’est devenu… y’avait des lilas qui dépassaient dessus la porte… ah ?!… c’est dans les papiers, faudrait tout rebouiller, j’ai pas le courage, tu verras ça bien assez tôt… tu vas faire quoi de tout ce que t’enregistres dans ta boîte, là ?…. tu mettras pas mon nom, ça regarde personne tout ça… j’en ai pas tant dit à mon Henri de tout un an !... »

« et alors, il est resté, c’est ça qui compte !… ce que t’es rosse !… comme toi avec tes « peut mieux faire » dans tes cahiers d’école, le souci que j’avais d’ça, mon Dieu… les hommes… vous restez des enfants, vous comprenez rien… toutes, on sait tout suite de quoi vous êtes faits… c’est pour ça qu’elle m’aime pas bien ta Fabienne… elle sait que je sais… qu’est-ce que tu veux… on est capable de ça et ça l’insupporte… tu lui feras pas écouter ton truc là, sinon ça fera un pataquès !… hein ? promets !… même si j’ai rien à cacher c’est pas toujours bon à entendre… y’en a là-dessous (elle montre par terre) des secrets de gens que la terre elle en est grosse... »

« tu vas dire que je radote encore mais… l’autre nuit j’ai refait le rêve… avec tout le tintouin que j’ai dans la tête, j’aimerais bien faire mes nuits quand même… ben non… c’était pas ici, je remettais pas les arbres ni le pays d’ailleurs… du connu et de l’inconnu, comme des gens que tu connais mais avec d’autres habits… et c’était pas leur voix non plus… j’en étais toute estomaquée… ah ça ils parlaient bien, mais je sais plus de quoi… ça m’effarouche ces étrangetés-là… pour quelle raison c’est là… c’est de la manigance… on sait pas si ça vient nuire ou quoi… on est déjà bien assez embarrassé avec ce qu’on sait… pour moi c’est du chinois... »

« (long soupir) t’en reveux une goutte ?… ça te réveillera pendant la route… il te fera pas de mal çui-là, c’est du déca avec de la chicorée… à la guerre on avait qu’ça !… même après c’est resté, tu vois… (elle réfléchit un moment)… on est la dernière génération à avoir connu la guerre… non… c’est pas tant les privations, mais de mourir pour rien… oui, de pouvoir être tué comme ça.. clic, vite fait, sur le pouce… (silence)… après la guerre ?… après la guerre on a compris quelque chose de la vie que vous comprendrez jamais… c’est ballot ce que je vais dire mais… c’est comme une femme qu’a eu des enfants qui cause de rien avec une copine qu’a pas pu en avoir… ben « le rien » c’est tout… c’est totalement différent… ça change tout… alors, après la guerre on a vécu, oui… avant la guerre on était jeune… tu sais quand t’as quinze-seize ans et que cinq ans après t’as plus que la moitié de la classe qu’est là… c’est un bonheur bien lourd à porter… c’était plutôt disons un « appétit de vivre »… le mot bonheur, tu vois, ce mot-là j’ai jamais vraiment pu… peut-être que d’autres si…  du plaisir, certaines fois oui… c’est tout… je m’dis des coups que je suis passée entre les gouttes... »

« ouais… dans l’temps c’était pas pareil… et puis on était jeune, on s’arrêtait pas à des broutilles… qu’est-ce que tu me regardes !… j’te sens penser là, tu vas l’dire à la fin ?… t’es toujours taiseux, toi… quand c’est pour faire ton malin d’écrivain ça va bien mais là tu gâches du silence garçon… tu crois qu’on m’a appris à savoir les choses, moi ?… c’était là et on faisait avec… ah ! c’est sûr qu’on a rien inventé… on faisait ce qui se faisait… déjà bien heureux de pouvoir durer… les gosses i’ suivaient, c’est tout… on avait déjà assez de mal à comprendre les choses pour se poser des comment et des pourquoi… on nous a rien donné, tu comprends ?… c’est pas comme entrer dans du tout fait… tu m’énerves avec tes questions… si ! t’as une manière de te taire qui pose des questions… comme quand t’étais gosse, la même… fallait en suer pour te tirer trois mots à toi… (elle souffle)... »

« c’était les vacances aux Sables… mais si t’étais là… t’avais même trouvé une petite au camping… ah ben tu vois !… c’est vrai qu’on était heureux avec le recul… ou c’est de se souvenir qu’on se voit heureux, je sais pas… j’ai l’impression d’une éternité comme si c’était pas nous... »

« les hommes ont des trous dans leur vie, même eux i’savent pas... »

« Des fois je m’fais l’impression d’être un poisson dans une flaque… avec du sec tout autour… tous les jours y’a moins d’eau… j’me tasse… l’autre matin j’ai oublié de me coiffer en sortant… dans la vitre de chez Morel, je m’ai vue « quelle tête t’as ma pauvre fille, tu peux pas croiser du monde comme ça »… j’ai rebroussé chemin… (silence)… »



Tape recorder, Patrice Cazelles (éditions Tangerine nights, 2018)

dimanche 6 janvier 2019

Mathias Richard live @ cipM (1)



Le 23 juin 2018, Mathias Richard a donné une lecture-performance au cipM (centre international de poésie Marseille), en plateau avec Boris Crack, dans le cadre de la Soirée des Usagers du cipM organisée par le poète Nicolas Tardy.

Voici une vidéo d'extraits cette performance (captation : Jessica L.) : https://youtu.be/y2rwYYo7mTw

(À suivre : captation vidéo complète fournie par le cipM.)

Bonne année !