samedi 7 février 2015

ULTRAVORTEX SAISON 2 Épisode 2 : Observatoire de l’avènement de l'Antéchrist - depuis le mur d’écrans plats du rayon HIFI



ULTRAVORTEX SAISON 2
Épisode 2
Observatoire de l’avènement de l'Antéchrist - depuis le mur d’écrans plats du rayon HIFI


« Inutile d’attendre l’Antéchrist, il est déjà là. »
Louis d’Alencourt


Assis derrière son bureau : Ricky Maniac repensait à ce que pourrait être l'enfer. Une sorte de gigantesque maison de correction sans issue, chacun coincé dans un carcan hostile, un cortex démesuré aux perceptions distordues. Il gribouilla quelques mots sur son bloc-notes en écoutant d’une oreille distraite le message d’attente d’un centre d’appel téléphonique.


Au fond,
vous connaissez déjà la vérité,
depuis le premier jour,
même si vous l'avez oublié.


Un vieux souvenir : Ricky Maniac montait les escaliers chez sa grand-mère. Une histoire qu’il se racontait étant enfant : il traversait les interstices entre les marches. Une façon de se donner une réalité : Il tombait droit dans le vide noir. Une sensation qu’il n’avait pas vécu depuis des décennies : réintégrer son corps comme s’il était originellement tombé de nulle part.


#TuSaisQueTesMortQuand quand tu te lèves chaque matin sans te poser de question vitale sur le sens de ta vie.


L'enfer, pourrait tout aussi bien n’être qu’une situation : un dépucelage dans une boîte de nuit de province avec un inconnu. Au choix, vous jouez à l'inconnue complètement torchée à la Vodka + Codéine, habillée comme une traînée d’un clip Youtube autoproduit de rap de banlieue, ou bien cet inconnu costumé en sportwear de la tête aux pieds, les pupilles comme des trous de pines et de l'écume au bord des lèvres spécialité Superskunk + Amphétamines. L'enfer : c'est à la carte. Lutter pour ne pas débander en imaginant que la radasse au bout de votre queue va jouir comme une pornstar dès les premiers coups de reins OU le visage collé aux montants crasseux de la fenêtre à la recherche du souvenir de ce que vous vouliez devenir quand vous seriez plus grande OU l'image qui s'imprime sur la glace fendue : la réflexion de deux quartiers de viande attachés à l’image d’un bonheur mal imprimé. Imaginez-vous qu'en enfer cette situation peut durer une éternité. Jusqu'au moment où les deux inconnus comprennent simultanément que tout n'est que mensonge. Vous ne sortirez jamais de ce trou tant que vos illusions persistent. Voyez l'enfer. Vous pouvez continuer à vous contempler pendant longtemps dans vos propres reflets.


L’ombre des arbres dansait sur les rangées de véhicules abandonnés par les clients du Centre Commercial. La caméra de surveillance ne pouvait louper l’affront, l’homme acrobate accroupi dans l’interstice, ses déambulations artistiques, d’une extrémité à l’autre du périmètre, sous la forme d’un labyrinthe sophistiqué, son message mandala dans la nuit.


A cause du naufrage d'un cargo en 1990, le continent plastique du Pacifique est en partie constitué de 80.000 chaussures Nike à la mode Vintage. (Source inconnue)


Al Zimmer, de son côté, menait sa carcasse chaotique sur le parking, s’il ne conduisait pas cet improbable véhicule de Police, il aurait pu passer pour un de ces fonctionnaires bienveillants qui peuplaient cette petite ville préfecture. Il surprendrait le joueur adverse sur son propre terrain.


Somnanbule à temps partiel.
Se réveiller un beau matin et vouloir déterrer son père.
Sueurs nocturnes et hallucinations auditives.
Ce travail réalisé, il se recueilli sur sa tombe, déposa l’offrande dans une boîte-monument, un cube de métal forgé, le dernier d’une collection de huit ou dix.


« Souvenez-vous de cette histoire aussi, le jour de la visite de Mail Gibson dans la région, cette nuit-là sur un parking à putes au bord de la Nationale 2. Avant de conclure son affaire avec Natasha, il se dit qu’il vaudrait mieux pisser un bol et que de toute façon avec leurs saloperies de capotes elle ne sentira pas le goût de l’urine quand elle l’aura dans la bouche. Contre un arbre, c’est encore là qu’on est le mieux pour pisser, dans le noir, c’est encore le meilleur moyen de ne pas voir qu’on en fout plein sur ses godasses. Juste avant qu’il ne remballe la marchandise, Mail Gibson sentit un truc chaud lui prendre la queue, une matrice incroyablement chaude et humide, un bon trou lubrifié qui soufflait des humeurs d'excitation. L’accueil délicat lui rappela sa tante, une femme à vapeurs hystérique, les hurlements en moins. Il n’eut pas le temps de réfléchir qu’il bandait comme un vrai taureau et hurlait de plaisir, d’autant que c’était gratuit, pour le coup. Alertée par les cris en provenance des fourrées, la foule se réunit autour du sosie du célèbre acteur déguisé en homme de la rue. Un routier belge au camion flanqué d’un énorme logo TRANSPORTS DE COOK, interloqué par l’étrangeté des aboiements, s’approchant plus de la séquestration mécanique que de la fornication vigoureuse, fendit la petite assemblée de putains mal lavées et de pères de famille à moitié chauves. Une lampe torche à 1.600 lumens dans la main, il éclairait la scène comme en plein jour. Le petit théâtre improvisé ouvrait de nouvelles perspectives, une légende était née, la rencontre de la virilité et de la bête à naseaux une nuit sans Lune. Le mythe de la vache et du prisonnier. C’était quelque mois avant la Chute, souvenez-vous. »


Dans la logique mentale du prochain suspect, il était nécessaire de faire la part des choses, dans les limites de sa méta-personnalité (« se réinvente à chaque parole » - parole de psy) : auriez-vous déjà oublié que l'ennemi est chez vous ? dans le double fond des armoires ; des tables de chevet ; des tiroirs ; derrière les lames de lambris décollées ; dans les notices d'utilisation que vous n'avez jamais lues, dans celles que vous n'avez jamais reçues.


La suite de l’affaire dans la grande surface. La suite des secrets de Fátima version télécommandée. Il eut été nécessaire de maîtriser le vendeur avant qu’il n’appuie sur le mauvais bouton de la manette, celui qui déclencha l'apparition d’une centaine d’inconnus dans le rayon hi fi. Cent clones, exactement (statistiques fournies par l’Intelligence Artificielle du magasin), exactement identiques au vendeur, inter-connectés en communication synchronisée.
Une seule voix.
Cent puissance dix de calcul mental.
Et les écrans qui affichaient un à un le compte à rebours des catastrophes.
Un écran - une prophétie.
Un écran - une nuance de destruction.
Un écran - un message à destination directe de ton âme, au delà du symbole et de la parole.
Un écran - en particulier, un souvenir de jeunesse, une fille, dans une publicité, nous assure que nous sommes tous beaux, car tous différents, tous là pour une bonne raison, tous là pour en finir.
Non ! Ne vous fiez pas à ses yeux rouges Coca Cola sur fond de poudre blanche. Ricky Maniac va toujours à l'essentiel. Arrivé au but, il peut lui arriver de divaguer dans le magasin, si ses veines sont confortablement alimentées du produit adéquat - (c’est le cas) - la démarche chaloupée. Des centaines de mères de famille, de jeunes couples, de retraités en quête de présence humaine - s'affairent. C'est le dernier rush avant le « Grand Évènement Tant Attendu ». Ricky traverse le magasin jusqu'au fond à gauche (Le rayon alcool est toujours au fond à gauche, c’est une convention sociale, une de plus). Ne vous fiez ni aux yeux explosés ni à la démarche des gens qui foncent bille en tête vers le rayon au fond à gauche : ils savent ce qu’ils font. Ils foncent sans prendre le temps de flâner, pour revenir directement à la caisse en parcourant le même itinéraire en sens inverse. Une cargaison de liquides divers et variés dans les bras.
« Traverse les rayons / Ne regarde pas les produits », lui dicte la voix.
Observer les gens se balader et se dire que le magasin est fermé et que nous sommes les mannequins du rayon vêtements. Avec l’autorisation de nous dégourdir les jambes après une dure journée à rester immobiles sans broncher. Ricky cherche sans succès les mannequins du rayon lingerie.
Ricky reprend le trajet du début :
Retour à l'entrée.
Tour complet du magasin.
Rayon par rayon.
Ricky croise les mannequins du rayon bogoss’, ceux du rayon femmes fortes avec leur tripotée d'enfants mannequins, des avatars de dessins animés à la mode. Ils ne se disent pas bonjour : la voix du haut parleur est leur porte-voix.
Ricky repère un mannequin du rayon lingerie. Sûr que les mannequins du rayon lingerie enfilent une mini-jupe sur leur petit cul rebondi après le travail. C'est écrit quelque part dans la convention collective.  La suivre et détailler les articles qu'elle sélectionne. Un panier de dix articles maximum vous donne assez d'informations pour commencer à juger une personne. Une raison pour laquelle les mannequins de supermarché n’ont pas besoin de se parler. Ils ne peuvent pas mentir. Ricky l’approche, en mesure de sentir l'odeur de son parfum quand elle s'arrête à coté d'un mannequin mâle qui l'embrasse, en lançant au jeune homme un regard qui veut dire : «  Le magasin va fermer ses portes dans quelques minutes ».
La voix du haut parleur résonne une nouvelle fois : « Veuillez rejoindre les caisses ».
Ricky obéit, vêtu de rouge et de blanc, de fourrure et de cuir, un long bonnet ridicule. Pourquoi était-il habillé en père noël ? Personne le sait.
À la caisse moins de dix articles. Deux bouteilles d'alcool fort sur le tapis roulant, et des paquets de chips. Un gosse tire sur son manteau.
— Père noël ! Père noël ! regarde maman ! c'est le père noël !
— Non, mon chéri, c’est un … (clochard (pensée filtrée)) ...
— Demande à ta maman ce qu'elle pense du père noël ? c’est bientôt noël ? c'est ça ? moi je m'en fous du père noël, je ne crois plus en dieu depuis longtemps, mais demande un peu à ta maman si elle a des choses à cacher ? Le monde est une conspiration mon enfant ! Le truc, c'est que tu n'es pas toi, nous sommes des entités parasitant un corps, qui n'est lui-même qu'un conglomérat de millions de millions de micro-bestioles qui te sont totalement étrangères et hostiles et dont l’harmonie ne tient qu’à l’équilibre précaire de ton système immunitaire, qui n’est ni un bouclier homéostatique, ni un don de dieu, mais une symbiose bâtarde dont l’unité ne tient que dans un effort concentré vers la destruction du Monde. Rappelle-toi, gamin, que le monde est une conspiration, que LE MONDE CONSPIRE CONTRE TOI, et surtout, avant toute chose, c'est toi contre toi-même, si tu vois ce que je veux dire.
Tu es ton pire ennemi, ajouta Ricky, accroupi, les yeux dans les yeux. Tu travailles avant toute chose à ta perte à ta chute en toutes choses, dans tous tes actes, dans l’ordre comme dans le chaos. Si tu veux survivre ici, apprend à te détruire tous les jours, méthodiquement, avec discipline, et avec le sourire.  
Ricky leva une bouteille de Johnny Walker Red Label vers le ciel de noël composite.
Trois anges de la mort s’envolent à la rescousse. Chorus : « Mais s’il ne reste rien à sauver, aura-t-on la chance de nous brûler les ailes ? »
Le pompier leur demande de s’écarter. Ricky lui fait comprendre qu’il est un journaliste. Le pompier a un gros casque, il ne doit pas très bien entendre, alors Ricky mime un touriste japonais prenant des clichés. Le touriste japonais, le langage des mains, habillé en toge, de superbes clichés. Une vieille maison qui part en flamme, dans un petit village de campagne. Une maison hantée, il l’avait déjà visité, il n’avait rien vu mais c’était flippant, des types avaient déjà entendu des trucs vraiment bizarres là dedans, des formes sombres, des flammes qui ne sont pas sans évoquer des séides hurlants.
Ses amis en premier plan, et le hurleur s’arrachant au désastre.
Et tout s'enchaîne rapidement. Le type entre dans la pièce. Il est attendu. Ils ne le reconnaissent pas, porte un masque, plus vrai que nature. Non ! Sans aucune nature ! Un mélange de fumée et de lumière. Une figure d’hologramme. Pas temps de faire deux pas que l’un des types - celui caché dans l’ombre - s’arme d’une bouteille, la brise, le menace. Sans prévenir, son visage se déforme à nouveau et un cocktail molotov improvisé à l’aide d’une bouteille de whisky vole au travers de la pièce. Il saute par la fenêtre, des chiens le retrouveront quelques centaines de mètres plus loin alors qu’il finira de se consumer. L’incendie s’étend à toute la ville. Accidents de voiture. Coups de feu. Émeutes.
Les chiens écoutent d’une oreille distraite les démons prendre possession de la ville.
La viande est cuite à point.

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