jeudi 4 septembre 2014

La Centrale - Chapitre 3 - Elliott

 
La Centrale - Chapitre 3 - Elliott
Moi. Elliott. Chauffeur du président. Attente hors de vue. Réunion genre haute sécurité comme ils disent. Comme si ce monde n’était pas déjà haute sécurité. Le genre où même les repliflics dans mon genre n’ont pas le droit d’assister. Alors je me grille une blonde. Privilège section 1.
Parking aérien. Dernier étage. Plein air. Pas autre surveillance que la mienne. Assez rare pour être noté. S’il n’y avait cette fuckin’ histoire de psychovirus tout irait comme dans le meilleur des mondes surtout de ce coté ci de la frontière. Attente sortie du président. Caresse mon arme. De là-haut : le réseau suburbain révèle la férocité de son découpage arbitraire et sécurisé. Les conditions climatiques changent. Lueur pourpre prend possession du ciel. Lumière verte - elle - annonce l’ouverture de la porte. Le voila qui arrive avec son directeur de cabinet ce gros lard de Roger-Louis. Cent kilos sur la balance.
— Direction la Capitale, et que ça saute nous sommes déjà en retard.
— On va où au juste ?
— Roger-Louis est au courant, veuillez donc aider ce pauvre à porter cette caisse et ne me dérangez plus, voulez-vous.
— Qu'il se démerde, Ro-ger-Lou-is.
— Ménagez-vous mon cher Elliott. Une longue soirée nous attend.
— Genre tournée des grands ducs ?
— D'une certaine manière vous aurez la possibilité de laissez libre court à votre programmation naturelle à la violence. Maintenant. Mettez là en veille.
Sur la route. Ciel éteint. Plus une seule lueur ici-bas. Si ce n’est le spectre phosphorescent de l’éclairage suburbain. Il persiste jour et nuit une forme d’énergie dans l’atmosphère. Je romps le silence. 
Demande si réservation OK. Si destination précise. Quel protocole ? Si toutes les checkpoints sont avisés de notre virée nocturne ?
Pas de réponse.
J’attrape le regard de Roger-Louis dans le rétroviseur. Détourne la tête pour réponse.
— Dis donc gros lard. Je rentre sur le ring dans moins de 2 minutes 40 secondes. T'as intérêt d’avoir une idée précise du trajet.
— Hum, j'y réfléchie.
— Tu m’entends bordel ? 
— Laisse couler… pour le moment.
Je stoppe la bagnole. Net. Sur bande d’arrêt d’urgence. Il n’a pas le temps de broncher que je l’ai déjà sorti de la caisse. Je le claque aussi sec devant. A la place du mort. Un papier annoté au stylo bic. C’est quoi ce bordel. Surprise. Visite quartier rouge. Remets col de chemise en place. Clin d’œil à Roger-Louis.
— Ce soir ça va être chaud.
J’ai parfois ce genre de poussée de violence avec mes clients. C’est aussi pour cela qu’ils me payent. C’est ma programmation. Je ne suis ni médecin ni majordome - configuration Conduite Agressive. Garé dans une petite ruelle. Sombre et rougeâtre. De sorte d’entrer par l’un des axes les moins animés. Aucune enseigne. Quelques clochards. Une paire de festifs déjà bien entamés. Lueur rouge diffuse. Dans les moindres recoins de cette ville dans la ville.
— Nous sommes attendus.
Première phrase prononcée par le président depuis notre départ. S’en suit un ordre. Porter cette putain de malle. Elle pèse une tonne. Vraiment. Une rue à traverser. Voila ce qui nous attend. Pas plus. Seule chose à l’esprit : danger permanent. A peine traversé la route que l’un des marginaux se rue sur le président. Je lâche la malle. Le bras levé du clochard s’arrête net quand je lui explose la tronche avec la crosse de mon flingue. Ce con me fait trébucher. Flingue reste plantée dans la bouche. Ressors l’engin. Des dents. De la bave odeur d’alcools. Du sang. Ombre blafarde passe au loin. Autre clochard fixé. Remets un dernier coup. Pour l'exemple. Dans la purée qui servait de figure à ce pauvre type.
— Ce n’est pas le moment de vous adonner à vos loisirs, me rappelle le président, nous avons une mission à remplir.
Reprendre mallette en main. Porche du numéro 2012. Long corridor. Toujours éclairé par la radiation rougeâtre émanant du sol. Type assit sur une chaise. Scan corporel en cours. Seul ? Le président me fait un signe de la main. Invitation à poser la mallette. Le type me fait non-non de la tête. Désigne ma veste. C’est le flingue qu’il veut voir à terre. Le président me fait oui-oui. Ne suis alors plus qu’un porteur. Cela en dit long sur l’espèce d’interlocuteur qui nous attend derrière les murs de cette friche. M’exécute avant que le gardien ne prenne la parole.
— Bienvenue par ici. C’est un tableau, tu crois que c'est un tableau, mais tu veux faire quelques retouches sur ton œuvre et là tu t'aperçois que le tableau est vide, rien ne tient… les mecs ? vous ne comprenez pas ? Ca ne m'étonne pas.
Je laisse le gardien divaguer. Se lève. N’avais pas vu son visage. Ne le vois toujours pas. Est masqué. Se remet les couilles en place. Se levant avant de nous interpeller à nouveau.
— Est ce que l'on peut me considérer comme vide ? Prenez-moi et lancez-moi dans une cage sombre et fétide, au fond d'un puit sans fin, aux entrailles de la terre…et voyons ce quel genre de monstre en sortirait.
Observe mes acolytes. Ne crois pas qu’ils s’attendaient à ce genre de comité d’accueil. Président prend l’initiative d’arrêter le délire du fêlé. Qu’est ce l’on peut bien foutre ici dans ce trou à rat au lieu d’écumer les bars et les bordels de ce maudit quartier ? Question qui tourne en boucle dans mon cervo.
— Des perturbations sont à prévoir, des fractales, un langage, sort de mes yeux, ce serait perturbant comme situation, si je ne connaissais pas la raison pour laquelle tout cela agit en moi.
— Nous avons rendez-vous avec un certain Yuri Kane… Nous sommes les...
— …les émissaires, précise Roger-Louis.
— Parfait. Alors portez cette malle au milieu de la route. Ouvrez là et rejoignez-moi.
Marche arrière avec la malle. Roger-Louis et le président sont pris d'un doute. Comme pétrifiés. Comprends la situation à l'ouverture de caisse pleine d’armes scalaires au milieu de ce quartier blindé de tarés en tous genres. Il ôte son masque grossier. Se retourne en haut de l’escalier. Yuri Kane. Impossible de louper son visage de chairs brûlées reproduit sur tous les supports possibles et imaginables depuis 48 heures. N'a pas perdu de temps pour se faire remarquer. Pourquoi nous ? Pourquoi nous installons-nous dans cette pièce ? Pourquoi ce monologue ? Connexions en cours.
— Je vais renaître. Je serai un ange. J'agite mes ailes profanées au milieu de vos lumières.
Il nous invite à regarder par la fenêtre. Explosion ténébreuse. Rouge comme la nuit. Rouge cauchemar.
Une vision à travers la vitre : une face. Le visage de la mort. Se forme dans la fumée d’un champignon de nature atomique. Otages de nos illusions incapables de déterminer s’il s’agit d’une véritable déflagration. D’un mirage. Ou d’une épiphanie. Impossible de bouger. Ne serait-ce qu’un seul membre. 
Zéro négociation à l’ordre du jour.
— Je resterai à vos cotés. Le fantôme du monde marchera à jamais dans vos pas. La fin c'est maintenant.
Sur ces mots - seuls que j’ai pu saisir - Yuri Kane s’éclipse. En reprenant le contrôle de ma main je cherche mon flingue réflexe au creux de mon bras. Eclair traverse cortex. Forte intuition que cette arme est inutile. Certitude d’être déjà contaminée. Prendre le choix en mode autopilote. Prendre l’une de ces armes. Dehors. Me battre comme un être humain. A coté d’autres êtres humains. Pour une cause d’êtres humains. Aussi mutants soient-ils ?
Accepter ce don ?
La lumière parcourt ma peau réclame à révéler mon essence. Mon point dans le cœur. J’accepte et chute. Les particules de mon corps se détachent dans le ballet électrique de la spirale. Elle irradie tout sur son passage sans aucune forme de distinction. Perception totale de l’univers. Autant avouer qu’il n’y a aucune chance d’échapper à cette vague.
A cet instant précis. C’est ce qui en fait toute sa beauté.
Fin provisoire de transmission des données.
La fin c’est maintenant.
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Texte complet (3 chapitres) disponible en livre numérique (fichier EPUB) en cliquant ici : YKS2_La-Centrale_Walter-Van-Der-Mantzche_2014.rar / Compatible tablettes, liseuses et pc (via logiciel Adobe Digital Editions)

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