jeudi 22 août 2013

Seizième histoire anéantie

La première fois que Romain l’avait aperçue, le soleil commençait à décliner. Peut-être était-ce les rayons rasants d’un après-midi qui finit, donnant à chaque être son ombre et sa lumière, mais son regard avait été tout de suite happé par les plis de sa robe bleu pâle. Habillé de terre et d’herbes par les jeux printaniers et enfantins de sa propriétaire, son vêtement ondulait comme celui d’une naïade toute prête à se dévêtir, pour aller se couvrir de l’eau d’une cascade.
Après avoir savouré, puis évacué les fantasmes que cette apparition faisait naître dans son esprit, Romain fit quelques pas en direction d’elle, sur le terrain de jeux, pour mieux apercevoir son visage, et pour, sans doute, qu’elle remarquât le sien. Les enfants bruyants et pathétiques, qui couraient ça et là sur le terrain de jeux à la recherche de quelque chose oublié la seconde d’après, clairsemaient son champ de vision, comme auraient pu le faire des moustiques un soir d’été. Et, d’ordinaire, il aurait essayé de les forcer à s’en aller, d’un revers de la main, comme si c’était des nuisibles. Mais, depuis que ce geste avait fait de lui la risée de ses camarades quand il l’avait exécuté dans la cour de son école, il n’osait plus le faire, et s’en trouvait frustré. Alors, pour suivre les us de la société – us dont il n’avait qu’une envie : se défaire, il décida de passer au travers de cette assemblée de roseaux, tous aussi identiques que cassants, pour aller lui demander son nom.
Au fur et à mesure que Romain s’approchait du banc où était assise sa naïade, il apercevait les plis de son visage se dévoilant progressivement. Sa bouche, d’abord, façonnée par l’eau claire et le feu appelait à la joie qui précède la disparition de toute innocence. Le regard fuyant vers la commissure de ses lèvres parfaites, on aurait pu croire avec tristesse que c’est là que finissait son sourire. Mais ce serait une faute impardonnable de ne pas oser s’aventurer plus loin, car, débordant de son visage, ses joues puis ses pommettes étaient des fruits rouges et mûrs, prêts à être croqués, embrassés, puis croqués encore ! Et Romain s’aventura sur ses yeux bleus, et dans ses cheveux blancs, et cela lui rappela la maison où habitaient ses grands-parents, ce coin de campagne dans lequel il allait, quand l’hiver sonnait là-haut dans le ciel. Et la chaleur et la bonté de sa grand-mère se trouvaient au fond de ses yeux, et un sentiment reposant de sécurité reposait dans la neige de ses cheveux…
Tout d’un coup, un gamin malodorant, un doigt dans le nez et un autre ailleurs, fonça brutalement sur Romain. Celui-ci voltigea sous le choc et atterrit sur le sable à côté de la jeune fille. Pendant ce bref instant que dura sa chute, son coude avait réussi à percuter le nez de son aimée, et à le lui briser net. Un flot de sang jaillit avec violence sur la robe bleu pâle, crottée de jeux d’été. Puis les pleurs montèrent à la gorge, aux lèvres et enfin aux yeux. Devant cette vision d’horreur, Romain eut honte, comme jamais. Son amour était bien mort, à la place naissait une furie, geignant, pleurant, appelant Maman ; vulgaire, grotesque, simiesque, pas féminine pour un sou. Romain remarqua un liquide jaune qui se répandait en serpentant dans le sable tout autour de lui. Il le suivit des yeux jusqu’à sa source : son entrejambe.
L’illusion fuyait à tire d’ailes, la fille aussi. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire