mercredi 17 février 2010

Les équilibres

Les équilibres



Du côté où je bascule les bourgeons s’épaississent puis s’écoulent jusqu’au sol, lorsque je m’y appuie les membres opposés se rétractent ou se détachent tandis que je me propulse dans un autre sens, sans cesse ces jambes vont et viennent, l’une pousse avec une si grande force que je ne peux m’empêcher de m’amaigrir, l’autre se résorbe et me regonfle. Quoiqu’elle gauchisse, ma tête doit persister : mes enfants ont encore le poumon avec elle. Parfois en marge, qui ne s’articule pas à une de mes hanches, se matérialise une jambe, elle ondule faiblement comme si elle se demandait où frapper, avant que je ne l’absorbe pour me rattraper.

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Dérangé, pouvant courir à pleine vitesse en changeant constamment de direction, je disparais de vue instantanément. Je fantôme.

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Sur mon dos la boule coupante essaye des emplacements qui lui conviennent, à mesure qu’elle ouvre ma peau son aire de déplacement se réduit, jusqu’à ce qu’un ensemble de lésions s’engorge de sa pâte et la stabilise. Elle parfait son ancrage en sécrétant un ciment qui s’écoule en moi en durcissant, au point de contact cette salive me corrode avant de sécher, allongeant ainsi un tube apport après apport, chaque injection provoquant une violente suée de pattes qui m’aiguille et m’immobilise, plus cette tête est formée plus la boule est fixée. Elle peut alors, pendant toute la durée de son repas, alternativement aspirer mon sang et réinjecter de la salive de manière à agrandir la poche ainsi creusée sous ma peau jusqu’à ce qu’elle atteigne une ou plusieurs veines, qui crèveront et augmenteront directement sa tête.
Ces boules se fixent si bien qu’une traction directe leur arrache souvent la tête, laquelle peut pourrir indéfiniment. Pour disloquer le ciment j’ai à m’agiter sur le dos et ainsi le faire tourner. Avant de l’extraire. Ce qui ne suffit pas toujours.

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Mes pattes brisent la gravité, à l’entour le sol change d’origine. Avec quantité d’expansions et de résorptions dans sa continuité. Quand l’horizontalité est ainsi remuée j’observe, pendant que le sol sous moi reste parfaitement fixe et inébranlé, autour il oscille presque imperceptiblement avec le mouvement de mes pattes. Lorsqu’elle approche, en général le sol modifié reste tendu et uni d’immobilités réflexes donnant une illusion qui occupe la proie, elle tombe soudain vers le haut. Alerté par le choc de sa chute puis ses débats pour trouver une nouvelle source d’appui, j’accours par les lignes fermes sur lesquelles je peux me déplacer sans me faire happer moi-même. Je sais aussi détecter la position d’une proie immobile en impulsant une vibration et en analysant l’écho en retour : mes pattes ne se soulèvent pas en même temps. Il est fréquent de rencontrer des segments qui s’élancent en étoile, des rayons enfonçant l’horizontalité à distance alors qu’elle se maintient à proximité, mais je n’ai qu’à tanguer pour tirer dessus et échanger aisément, en masse, ces intervalles quand l’occasion l’exige, par exemple lorsqu’une proie se ramène.

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Menacé je ne fuis pas je tremble si bien, le sol vibre on ne le suit plus suffisamment pour me voir. Nous me trompons.

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Je me nourris presque exclusivement de montagnes, dès qu’elles s’empêtrent par une gravité divergente j’escalade leur arête en dévaginant mon estomac, qui se pétrifie au contact de la roche et peut ensuite la tirer lorsque je reviens sur mes pas entre mes fesses qui s’appellent et s’écartent, et ainsi broient, en m’avançant.
Mon système digestif comprend un gros anus dorsal contractile d’où la roche est expulsée vers ma tête, et neuf à seize paires d’estomacs latéraux qui fossilisent et envoient vers l’arrière dans un intestin ventral. Si un animal passe à proximité mon estomac l’empale, il reste embroché et mon anus attend qu’il raidisse pour le concasser.
Certains de mes estomacs circulent en durcissant dans le sol essentiellement horizontalement, et d’autres encore verticalement (ce sont ceux qui laissent des monticules caractéristiques en surface.)

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Dans le cas où la température ne m’est pas bonne et la nourriture rare, j’ai des bulles qui crèvent en accumulant leurs résidus jusqu’à former une sorte de tube, des cils finissent par battre et lui permettent de s’orienter, et lorsque ce petit bourgeon réalise tout ce que je fais, je peux m’y communiquer en me séparant de mon corps, pour y mener ma vie.

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A la moindre alerte mon prédateur est plongé dans le sol. Lorsqu’il réapparaît soit je ne suis plus là, soit il pelote facile à récupérer.

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En colonies chacun de nous ne peut exercer de traction que sur les fils qui font pivoter l’ensemble des dimensions, qui donnent axe à travers un volume qui peut contenir plusieurs planètes, sans quoi toute la torsion donnée au piège peut se redresser brutalement et nous couper les uns des autres. Mais nous ne nous distançons pas facilement et resserrons repousser un ou plusieurs dont nous sommes détachés, et certains sont même capables de reconstituer à partir de leur piège, avec les proies qu’ils auraient dû prendre, tous ceux qu’il implique.

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Mes pattes postérieures plongent pour me préparer à bondir, alors que mes estomacs s’étalent autour du sol afin de percevoir à la ronde les trépidations du gibier qui s’empêtre. Mais c’est le gibier qui n’hésite pas à bondir à moi, se dirigeant dans son bond en évitant les changements de gravité, jeté sur l’une de mes pattes il la saisit dans sa bouche et fait effort pour m’extraire, d’un élan soudain et de trop courte durée pour me soulever du sol, à peine il me soubresaute car tout entier hâte il lâche aussitôt prise. S’il persiste je lui happe la nuque.

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Il bondit, happe une patte, tire à lui, moi tenant bon le plus souvent, entraîné parfois au-dessus du sol, mais aussitôt j’y rentre à la faveur de mes pattes qui s’écoulent vers l’arrière.

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Expulsé je lance mes anus dans le vent. Qu’ils s’y accrochent et m’entraîne, me blottir dans ses coins. Mais le gibier me paralyse d’un coup de sexe dans le thorax.
Des petits tonnelets en terre gâchée regroupés en abri, chacun contenant l’un de nous aux pattes sectionnées en compagnie d’un œuf.

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